Kessia – 15 – Le concours
Le cri des animaux sauvages accueille Kessia lorsqu’elle sort de la grotte. Il commence à faire nuit. La jeune fille résiste pour ne pas s’affoler, mais en vain. Finalement, elle se sent perdue. Elle réprime un grincement de dents.
– Calme-toi, s’encourage-t-elle. Il ne sert à rien de t’affoler.
Pourtant, cela ne suffit pas face à une nuit galopante dans un tel endroit.
Kessia décide d’emprunter le chemin de ces inconnus. Elle réussit à retrouver leur piste qui la conduit jusqu’au rivage. Maintenant que faire pour retrouver son radeau ? se demande la jeune fille. Elle trouve le moyen. Sans perdre de temps, elle grimpe, escalade les rochers d’une extrême rapidité. Car elle a peur que la nuit ne la rattrape dans cet îlot. Il peut y avoir des animaux nocturnes affamés.
Dans son escalade, Kessia ralentit à chaque baie qu’elle inspecte. Elle finit par trouver la baie où elle a amarré son radeau. Mais elle faillit s’effondrer sur les rochers. La marée ne lui permet pas d’embarquer aussitôt. Donc Kessia doit attendre que la marée soit suffisamment haute. Elle s’y résigne !
Kessia s’installe sur un rocher, retrouve son souffle. Tout son regard est porté sur son île que dévore la nuit. Elle pense à Pamito qui est peut-être en train de s’inquiéter pour elle. Qui croirait que quelque chose lui est arrivé, à elle, Kessia. A cette idée, un sourire lui effleure les lèvres. Elle se dit qu’il se ferait une grave anxiété pour rien. Car elle, Kessia, se trouve hors de danger. Ses parents, naturellement, ne vont pas s’inquiéter pour elle. Ils ne se sont jamais inquiétés pour elle.
La marée reprend le radeau, la nuit déploie ses ailes noires partout. Kessia se précipite pour s’en aller. Sur son radeau, elle admire la mer, le ciel étoilé. Elle pense qu’habiter au milieu de la mer serait beau. Elle cesse de ramer un instant, imagine Pamito à côté d’elle en train de compter les étoiles. Elle se voit la tête penchée sur l’épaule du garçon, tous deux regardant les étoiles. Et Pamito lui caresse les cheveux. Elle imagine d’autres gestes romantiques.
La réalité fait revenir brutalement Kessia à elle-même. Subitement, elle se sent seule, triste. L’absence de Pamito dans un tel endroit romantique lui fait un effet pénible. Elle continue de ramer, perdue dans ses pensées.
Une fois proche de la rive, Kessia aperçoit une lumière. Elle est prise de panique. Est-ce tout le village venu la chercher ? Car chez eux, quand on annonce la disparition de quelqu’un, tous les habitants se mobilisent pour le retrouver. Son absence aurait-elle été remarquée ? La jeune fille rebrousse chemin. Devinant la manœuvre de Kessia, la personne tenant la torche l’interpelle.
Kessia n’en croit pas les oreilles. Rassurée, elle débarque.
– Il y a longtemps tu m’attends ici, Pam ?
– Oui, répond-il, en me faisant d’horrible anxiété.
– Que c’est romantique ! s’exclame Kessia, d’un ton délicieux.
– Quoi ? s’enquiert le jeune garçon.
– Traverser la mer sur un radeau, sous un ciel étoilé de pleine nuit.
– Tu me raconteras tout ça demain.
Kessia narre son périple à son ami. Un périple plein de courage, de peur, d’angoisse. Elle lui décrit cet îlot. Mais elle ne mentionne pas la grotte. C’est après avoir mûrement réfléchi, qu’elle décide de lui révéler les moindres secrets.
– C’est dangereux, Kessi ! s’affole le garçon. Je ne peux pas garder ça secret. Ça me donne déjà la chair de poule.
– Mais non, voyons, on ne peut jamais compter sur toi, s’ennuie Kessia. Tu agis toujours comme un couard. Ecoute, s’il y a quelqu’un qui encourrait les risques, ce serait bien moi. Toi, tu n’as qu’à tenir ta langue.
– Hum ! Je t’aurai prévenue, si ça tourne mal. Tu étais bien plus tranquille avant…, tente de souligner Pam.
– Pour une fois, Pam, ne dramatise pas les choses, s’indigne la jeune fille. Tu le gardes ce secret ou non ?
– Tu es trop têtue, répond le garçon en haussant les épaules, résigné.
Les jours suivants, Kessia évite le bord de la mer. Jamais elle ne l’avait redouté de cette manière auparavant. Jamais il ne lui avait paru si terrifiant. Depuis son aventure, ses nuits se sont peuplées de cauchemars ! Tantôt elle se retrouve pourchassée, tantôt ligotée, torturée, noyée ou pendue par ces deux inconnus. Comme d’habitude, elle se réveille en sursaut, toute dégoulinante de sueur. Parfois, toute secouée et enfiévrée. Et l’idée de l’insécurité l’obsède, la terrifie. Elle se sent comme une proie très guettée et convoitée. Pour une énième fois, Kessia regrette son périple, maudit sa curiosité et sa hardiesse.
– Une escapade diabolique, une curiosité démoniaque, une hardiesse endiablée !
Kessia n’a plus envie de passer autant de temps dans la forêt. Elle se contente de quitter son lapin après l’avoir nourri. Plus question de rester avec lui. Cependant, celui-ci commence à avoir l’air de ne plus reconnaitre sa maîtresse. La jeune fille s’en inquiète. Elle comprend qu’elle doit prendre une décision afin de ne pas perdre son lapin.
Malgré sa peur, Kessia risque sa vie pour son lapin. Elle choisit de le garder, de lui consacrer du temps comme d’habitude.
– Il m’est très difficile de rester loin de toi, avoue la jeune fille. Je n’ai aucune envie de t’abandonner. Tant pis, si je croise ces diables.
Kessia est une jeune fille bien attentive malgré qu’elle n’en a l’air. Elle a cette capacité de se rappeler les leçons ayant rapport à son entourage. Elle n’hésite jamais de mettre en pratique tout ce que l’école lui apprend de son entourage. Comme protéger les animaux, les végétaux, les eaux, l’environnement.
– Ce n’est pas bien d’abattre les arbres, a-t-elle osé l’écrire sur l’extrémité de l’arbre abattu. C’est ça qui entraîne la déforestation.
Kessia tient parole. Comme avant, elle fréquente son animal. Elle en profite pour davantage maîtriser les mots. Par la même occasion, elle surveille la mer afin de repérer l’arrivée de ces inconnus chez eux.
La maîtrise de l’orthographe des mots préoccupe Kessia jusqu’au jour tant attendu pour les uns, redouté pour les autres. Le jour du concours. Dans la cour de l’école, on ne parle que de cela. Les candidats sont agités, affairés, préoccupés partout. On se cherche par-ci, on se retrouve par-là. On se donne des idées, se demande si on est prêts. On se pose des questions, on y répond, on se conseille. On se moque, s’enthousiasme, s’agite, s’excite, on rigole un peu partout. Et finalement quelle ambiance ! Quel tumulte ! Quelle agitation !
Le soir arrive. L’école grouille d’écoliers venus supporter leurs candidats, camarades. Chaque responsable de classe est entouré de ses candidats et les supporters qu’il entretient.
Kessia sent son cœur battre à décamper. Elle s’imagine tremblotante devant les spectateurs. Cette idée lui donne un frisson.
– Hé ! Tu ne suis pas Kessia, lui fait remarquer M. Jano qui leur donne les dernières consignes.
La jeune fille reprend ses esprits, demeurant de nouveau parmi ses camarades. Elle écarte ses craintes, absorbe les dernières consignes de leur maître. Car bientôt, les candidats vont rejoindre la tribune.
– Ne soyez jamais pressés d’épeler un mot sans demander sa nature et son sens, répète M. Jano pour une énième fois. Même si vous connaissez ce mot. Soyez attentifs, réfléchis…
– Et blabla, murmure Melan, chef de cette petite bande, ennuyé de ces consignes trop réitérées.
Il n’écoute plus rien.
Dans la cour, les spectateurs clôturent la tribune où se trouvent candidats et les membres du jury. Chaque candidat porte un badge. Le jury comprend quatre membres. Un pour tirer les mots au hasard, les autres pour noter. Quand on n’attend plus rien que de commencer le concours, celui qui tire les mots au hasard, invite le premier candidat.
Le tireur plonge sa main dans une sorte de besace en plastique transparente en forme de rectangle. C’est elle qui contient des mots cachés, écrits sur des papiers bien pliés. Il y tire un papier, le déplie.
– Toilette ! articule-t-il le mot. Veuillez épeler le mot toilette.
Le candidat ne demande rien de plus. Il s’empresse de l’épeler, on devine bientôt par panique, qu’il double une lettre là où il ne faut pas, et ne le fait pas là où il faut. Puis il répète le mot pour signifier qu’il a fini de l’épeler.
– Incorrect, juge le tireur. Toilette s’écrit comme suit : T-o-i-l-e-t-t-e, et non comme vous l’avez énoncé.
S’en suit alors un tumulte. Des commentaires d’assez mauvais goût fusent un peu partout. Le candidat retire le badge de son cou puis le pose sur la table du tireur. Il rejoint sa place, éliminé et penaud.
Cependant, les deux candidats suivants regagnent leurs places sous une pluie d’applaudissements et d’acclamations. Le quatrième candidat tombe dans le gouffre. Enfin, arrive le tour de Kessia comme cinquième candidate.
La jeune fille se sent envahie d’une grande lassitude, ses jambes lui semblent très lourdes à déplacer. L’envie d’avoir une grande douleur qui l’empêcherait de faire ce concours, ou de s’évanouir, la saisit. Elle souhaite une grande calamité naturelle, un acte surnaturel qui mettrait un terme à cela. Mais son vœu ne se réalise pas. Rien. C’est pénible d’affronter le sort.
La jeune fille tient le coup, supporte les regards pesants des spectateurs. Elle est la première fille à passer. Elle doit sauver… Elle n’a pas le temps de trop penser.
– Exhausser ! entend-elle le mot choisi au hasard bourdonner dans ses oreilles comme un tintamarre. Veuillez épeler le mot exhausser, mademoiselle.
La chair de poule lui traverse le corps. La jeune fille veut libérer la première lettre, mais l’une des consignes remonte dans sa tête. Ne jamais épeler un mot sans avoir connu sa nature et son sens.
– La définition, s’il vous plaît, monsieur, demande Kessia.
– Exhausser, nature : verbe, sens : rendre quelque chose plus élevé. Exemple : exhausser les murs de l’école.
La jeune fille demeure pensive quelques secondes. Elle se demande lequel des deux il s’agit, exhausser ou exaucer ! Mais l’exemple donné lui sert de certitude. La tribune est silencieuse, en suspens.
– E-x-h.a-u-s-s-e-r, articule convenablement la jeune fille, le cœur serré et en feu.
– Correct ! juge le tireur.
La joie pénètre dans les veines de la jeune fille, éteint et desserre son cœur. Les applaudissements et ovations jaillissent parmi leurs camarades venus les supporter. En rejoignant sa place, ses camarades lui sourient, lui manifestant l’esprit d’équipe. Sauf Melan et Oumu qui ne font aucun geste, aucune sensation.
La jeune fille accueille le sourire de ses camarades, surtout celui de son meilleur ami Pamito. Elle remarque que celui-ci est le septième candidat.
Quand le tour de Pam arrive, la jeune fille le regarde se diriger vers le jury. Le tireur tombe sur un mot, le déclare. Tout le monde s’esclaffe, même Pam. Il voit sa personne mise en jeu. On lui demande de l’épeler. Pam ne demande rien, comme le premier candidat. Lentement il s’exécute.
– I-d-i-o-t, martèle le garçon.
Les gens se mettent à rire plus que d’applaudir. On murmure qu’il n’est pas du tout idiot comme le mot qu’il vient d’énoncer. Il rejoint sa place, tout honoré.
Le concours se poursuit. Un peu plus tard, il se serre de plus en plus quand les moins préparés rendent leurs badges, éliminés. Les plus avisés cependant tiennent tête aux mots.
Les mots changent l’ordre de leurs lettres, syllabes pour déstabiliser les candidats, mais en vain. Alors ils se courroucent, cherchent un autre moyen. Les homophones ! Là, cela n’épargne pas quelques-uns. Les homophones les emportent avec eux dans l’échec.
Sur trente candidats, il n’en reste que la moitié. Or sont attendus en finale dix. Il reste encore cinq à éliminer.
Le concours devient de plus en plus ardu. Les enfants résistent, tiennent bon, se montrent durs à cuire, invincibles, mais finalement, les mots obtiennent raison sur cinq d’entre eux. Heureusement, nos deux amis, Kessia et Pamito, sont épargnés. Toutefois, Kessia a frôlé l’élimination en omettant l’accent circonflexe dans le mot fraîcheur. Mais les membres du jury ont explicité qu’avec ou sans accent circonflexe, ce mot reste toujours correct. C’est ce qui l’a donc sauvée. Elle semble maintenant moins sûre de se voir consacrée. En ce qui concerne Pam, il espère déjà remporter ce trophée sans le moindre doute, vu ses succès remarquables. Pamito, Eva et Kessia sont désormais les trois à représenter leur classe en finale.
La fin du concours trouve le directeur satisfait. Le concours a duré et a été un très beau spectacle. Les enfants ont longtemps persisté avant de céder. Le directeur pense déjà à ajouter d’autres mots absents sur la fiche au cas où on ne parviendrait pas à départager les finalistes.