Kessia – chapitre 11 – Ce qu’il faut
Ce matin, comme c’est dimanche, Kessia retourne sur son territoire. A peine arrivée, elle se précipite pour bien contempler cet îlot. Elle l’observe curieusement. Elle n’en avait jamais eu un vif intérêt avant. Bientôt, l’image de la pirogue traverse sa tête. Elle la revoit parcourir la mer, se diriger vers cet îlot.
« Rien ne m’en empêchera…, » murmure-t-elle avec assurance.
Elle fait descendre la cage, ouvre l’entrée. Elle s’en éloigne sans se soucier du lapin. Elle cherche son bouquin désormais préféré. Celui-là qui renferme l’image des animaux. La jeune fille grimpe sur son arbre préféré, s’installe sur une nouvelle branche un peu au-dessus de celle habituelle.
Kessia tourne les pages, croise le regard doux, innocent, paisible de certains animaux, et celui agressif, effrayant, menaçant d’autres, mais rien ne l’emballe comme d’habitude. Aucun d’eux ne réussit à l’effrayer ou l’émerveiller. Parce que son esprit vagabonde, exécute les plans. Des plans qui paraissent, et peut-être aussi à n’importe qui, totalement irréalisables. Par exemple, nager jusqu’à cet îlot. Ou encore détourner une pirogue du port. D’ailleurs, elle s’est empressée de chasser cette dernière idée.
Toute la nuit, elle s’est tournée et retournée sur son lit afin de trouver un moyen, mais rien.
« Jamais, a-t-elle protesté. Aucun obstacle ne surgit sans une piste de solution. »
Toutefois, elle n’ignore pas aussi que certaines pistes sont affreusement dangereuses. Sinon détourner une barque peut résoudre son problème, mais ça comporte d’énormes risques et dangers. D’ailleurs, pourquoi ne pas prendre celle de son père ? Il est un pêcheur. Elle pourrait s’en servir tranquillement.
« Non, il en est hors de question, s’oppose-t-elle à cette idée. C’est grâce à la pêche que papa nous nourrit. Je ne peux pas lui faire ça, et à personne d’autre, d’ailleurs. »
Cependant, Kessia se dit qu’elle trouverait forcément un moyen. Elle chercherait à savoir pourquoi ces inconnus sont partis dans cet îlot. Mais soudain, quelque chose lui reproche de vouloir se mêler de ce qui ne la regarde pas.
« Qu’est-ce que tu racontes ? Ça me regarde, bien sûr, rétorque-t-elle. Ça m’a intriguée, voilà tout ! Cesse donc de me faire la morale, qui que tu sois ! »
Elle referme son livre, descend de l’arbre pour éviter de tomber, s’il lui arriverait de s’oublier. Elle tourne sur elle-même comme une boule. Peut-être intrigué, son lapin la regarde sans cesser de brouter les petites herbes. Et subitement, il s’approche d’elle, s’assied sur ses pattes postérieures. Il suit alors les gestes de sa maîtresse. Quand Kessia s’en aperçoit, elle s’accroupit et le prend dans ses bras.
« Désolée, chou ! lui murmure-t-elle. Je sais que j’ai manqué à mon rôle de reine des bois, mais c’est que… ah ! Tu ne peux pas le comprendre. Je crois que je vais devenir folle. »
L’animal se love dans les bras de sa maîtresse, comme s’il avait peur que cela se produise. Kessia sourit, oui son lapin tient vraiment à elle. Mais il ne suffit que quelque instant pour qu’elle se perde encore dans ses pensées.
Hier, elle se disait qu’un tour dans cet îlot, ce serait vraiment un exploit. Et maintenant, voilà une bonne raison d’y aller. Oui, mais enfin sauf que tout se révèle compliqué. Son ami avec lequel elle aimerait partir, celui-ci n’est rien d’autre qu’un couard. Il est même allé jusqu’à tenter de la décourager. Heureusement, cette fois-ci elle a résisté. Elle sait que son obstination l’a blessé.
« Il le fallait, s’agace-t-elle. Je suis fatiguée de recevoir des leçons de morale. J’ai onze, bon sang ! »
L’animal sursaute dans ses bras, certainement affolé. C’est vrai que sa maîtresse devient folle peu à peu ? Kessia lui sourit pour le rassurer que tout va bien. L’animal semble plutôt saisir cela, car aussitôt il place sa tête contre Kessia.
« Oh ! Quel naïf, mon chou ! » sourit-elle encore.
L’instant qui suit, l’air de la jeune fille devient évasif. Pamito est très intelligent pour pouvoir l’aider à trouver un moyen. Elle sait qu’il peut lui rendre ce service, sans espérer qu’il l’accompagne. Mais voilà qu’elle lui a dit hier qu’elle allait s’en sortir toute seule.
« Oui, toute seule, » répète-t-elle comme pour fortifier sa confiance.
Mais la situation dans laquelle elle patauge lui fait comprendre qu’elle est encore loin de s’en sortir, de réussir toute seule.
« Seul un idiot peut refuser de solliciter un secours dans une situation compliquée…, murmure-t-elle. C’est vrai que j’ai réussi dans beaucoup de situations, toute seule, mais là, j’ai besoin de l’aide… l’aide de mon trouillard d’ami. »
Le lendemain, après les cours, M. Jano retient ses dix candidats, comme d’habitude, pour les exercices ou les consignes voire astuces. Il constate que les enfants ont fait de réels progrès, surtout le brillant Pamito, mais malheureusement sauf Kessia.
« Kessia, sais-tu que tu n’as pas fait le moindre progrès, depuis la dernière fois ? lui fait-il remarquer doucement. Serais-tu embêtée, par hasard ?
« Euh !… Non, monsieur, répond Kessia, jetant un regard suspicieux à Pamito.
– Il est trop tard maintenant qu’on remplace qui que ce soit, poursuit M. Jano, d’un ton presque suppliant. Il faudrait que tu t’appliques davantage.
– Je vais rattraper mon retard, monsieur.
– Je l’espère bien. Je compte sur toi pour atteindre le même niveau que tes camarades. »
Kessia hoche la tête, souriante. M. Jano les libère après leur avoir donné la dernière consigne du jour. Les enfants se hâtent de rentrer chez eux, car leurs ventres gargouillent. Et dans cette foulée, seuls Kessia et Pamito ne semblent pas pressés. Kessia félicite son compagnon pour sa performance. Celui-ci la remercie et l’encourage à beaucoup s’appliquer.
« Et pourquoi pas avec moi, d’ailleurs ? suggère le jeune garçon.
– Une très bonne idée. »
Ils parlent d’autres choses, dépassent le potager de l’école. Ils s’arrêtent sous un manguier. Alors, Pamito tente d’évoquer le dessein de son amie, pour voir si elle n’y tient plus.
« Alors, as-tu eu une idée ? commence-t-il.
– Une idée de quoi ? demande Kessia, confuse.
– Je veux dire où en es-tu avec ton expédition ?
– Euh !…, fait-elle, surprise, car ne s’y attendant pas. J’avais l’intention de demander ton aide…
– Et le concours alors, ça ne t’intéresse plus ? s’étonne le garçon d’une voix peinte de déception.
– Ah ! Je ne sais plus, je suis confuse…
– Mais Kessi, monsieur Jano compte sur toi. Pourquoi ne veux-tu pas abandonner cette idée démoniaque ?
– Tu sais, Pam, j’ai tout fait, » se défend la jeune fille, l’air évasif. Mais c’est cette idée même qui ne veut pas m’abandonner.
Ils demeurent tous les deux dans le silence. L’air frais leur permet de se perdre dans leurs pensées. La brise les berce, les caresse et leur murmure quelques sifflements dans les oreilles. Pamito relève la tête et aperçoit un oiseau picorer une papaye bien mûre dans le potager.
« Bien, si c’est comme ça, je veux bien t’aider, » se résigne-t-il à l’obstination de son amie, sans cesser de regarder l’oiseau.
Kessia le fixe, saisie d’une lueur d’espoir alors qu’elle était sur le point de renoncer à cette entreprise folle.
« J’ai une idée, poursuit le garçon. Car j’ai tenté d’en trouver une pour toi, la nuit. »
Kessia se sent alors incroyablement fière de son camarade, comme elle n’en a jamais été. Elle n’arrive pas à s’empêcher de sourire.
« Mais je te préviens que je ne serais tenu responsable de rien, l’avertit son ami en tournant son regard vers elle.
– D’accord, Pam, accepte Kessia, l’air reconnaissant et souriant. Tu ne seras responsable de rien.
– Je voudrais qu’on en parle sur ton territoire, mais voilà que j’ai terriblement faim, sourit le jeune garçon. Mon estomac me pique.
– Ça se voit, petit gourmand. On peut s’y retrouver le soir. »
Le soir, quand le soleil cherche à dorer ses rayons, les deux enfants se retrouvent dans la forêt. Kessia s’étonne de voir son ami venu avec un livre, alors qu’elle en a beaucoup avec elle. Mais elle se souvient qu’elle ne lui a pas montré où se trouvent ses bouquins. Elle entraîne donc le garçon derrière l’arbre. Elle retire la terre sur la plateforme qu’elle tire ensuite. Un trou s’ouvre devant eux.
« Voilà, tout mon trésor ! »
Pamito s’accroupit, observe le travail ingénieux de son amie. Il tâte certains bidules, retire certains livres, lit les titres avant de les ranger.
« Une bibliothèque aussi mystérieuse que sa propriétaire, commente-t-il.
– C’est là que j’emmagasine mes bidules, explique Kessia avant de refermer le trou par la plateforme.
– Tu es bien plus intéressante que tu n’en as l’air, Kessi !
– Bon, trêve de compliments, fait celle-ci, après s’être redressée. Commençons par le début, veux-tu ? »
Pamito préfère la branche de l’arbre au siège. Cela fait, il dit à Kessia qu’elle n’a plus besoin de s’inquiéter. Parce qu’il a toutefois jugé de l’aider, puisqu’elle n’a pas voulu renoncer à son idée. Il lui parle d’un engin qu’il a trouvé, mais s’abstient de le lui décrire. Kessia se montre impatiente et curieuse face à ce truc dont parle son ami.
« C’est différent des pirogues, des barques…, poursuit Pamito.
– Bon, ça va, l’interrompt Kessia. Dis-moi, ce que c’est ! »
Le jeune garçon ouvre donc son livre sur une page, lui montre ce fameux engin. Elle approche le livre plus près des yeux. Pour bien l’observer. Un assemblage de bois attachés les uns aux autres par des cordes, formant une plateforme. Une personne assise dessus sur un lac, la pagaie en mains. C’est à peine qu’elle découvre le nom de l’engin.
« Le radeau ! lit-elle. Il s’agit donc de cet engin ?
– Effectivement, dit Pamito d’un geste satisfait. C’est tout ce qu’il te faut.
– Mais Pam, ça n’existe pas chez-nous, voyons ! s’esclaffe Kessia, malgré elle.
– Certes, mais c’est un truc à l’air très facile. »
Kessia observe de nouveau le radeau, déchiffre ses différentes composantes.
« Tiens, c’est vrai ! admet-elle. On aura besoin juste des bois, des cordes, peut-être des pointes, le marteau, la scie…
– Parfaitement, Kessi, approuve le garçon.
– Mais reste à savoir comment nous y prendre.
– Moi, je sais. »
Il lui explique sa petite idée. Même si cette idée semble comportée de risques aux yeux de Kessia, un sourire et une tape mutuelle dans les paumes l’une dans l’autre, traduisent son approbation.