Kessia – Chapitre 19 – Sur le banc des accusés
Kessia se retrouve seule, les rayons du soleil frappant ses cils. Elle tente de s’en protéger en vain. La seule chose qui lui reste à faire, c’est d’attendre que le soleil monte plus haut. Là, les feuillages des branches vont se mettre en son travers, pense-t-elle. Mais puisque ce moment est encore loin d’arriver, elle relève péniblement ses genoux puis pose sa tête dessus. Pourtant cela ne suffit pas, car une forte chaleur envahit son corps. Elle sent sa sueur puer, mal à l’aise. Elle pense à ôter au moins son uniforme sur son cache-misère. Cela lui rappelle qu’elle est ligotée. Alors cette impasse lui arrache quelques larmes de ses yeux.
Kessia crie pour qu’on puisse l’entendre quelque part, si toutefois elle est dans un endroit de son île natale. Puis, Elle reste silencieuse quelques instants en espérant un secours. Mais rien. Son angoisse augmente de plus belle quand elle se croit loin de son île. Elle commence à ressentir la faim et la soif. Cette forte chaleur que dégage le soleil entraîne en elle une sensation désagréable et une forte déshydratation.
Quelques instants après, une idée clignote dans la tête de Kessia. Elle ne s’en fait pas prier. Il ne lui vaut que quelque effort pour enfin, pouvoir se glisser derrière l’arbre qui la retient captive. Une fois arrivée, elle soupire, soulagée. Elle appelle encore au secours plusieurs fois, en vain. Elle ne reçoit que l’écho de sa voix qui se perd dans le lointain. Finalement, elle renonce à cet effort désespéré, de peur de s’attirer une meute d’animaux féroces, plutôt qu’un secours. Car elle n’a encore aucune idée de là où elle se trouve. Bercée par le calme et l’air frais qui y règnent enfin, Kessia succombe au sommeil.
Les deux hommes reviennent un peu plus tard trouver Kessia assise, adossée contre l’arbre, tête penchée sur ses genoux relevés.
– Coucou, jeune fille ! fait un de ses ravisseurs en s’approchant d’elle. Réveille-toi, il est l’heure de l’interrogatoire.
Kessia relève sa tête, aperçoit une figure humaine près d’elle. Elle faillit s’affoler, mais elle se détend quand elle reconnaît l’un de ses ravisseurs. Elle erre son regard autour d’elle puis voit l’autre assis sur un arbre abattu, les bras croisés. Elle repose sa tête sur ses genoux.
– Bon maintenant, plus de comédie, je te préviens jeune fille, lui avertit Lop d’un ton ferme. Nous avons besoin des réponses claires et précises.
– Monsieur, j’ai faim et soif, se plaint Kessia. Je n’ai rien mangé depuis le matin. Lâchez-moi, je vous en prie !
– Justement, jeune fille, enchaine Lop. Nous sommes revenus te proposer une aubaine. Alors, tâche de la saisir.
– Et comment vais-je m’y prendre ? s’enquiert Kessia, relevant la tête, une lueur d’espoir traversant ses traits.
– C’est simple : répondre exactement à nos questions, lui répond Lop.
Cette réponse n’enchante guère Kessia, mais plutôt l’ennuie.
– S’il vous plait, messieurs, vous avez choisi la mauvaise personne pour répondre à vos questions, supplie Kessia. Même en classe, ma maitresse se méfie de m’interroger car elle sait que mes réponses sont toujours fausses.
Lop fait un effort pour ne pas se laisser distraire, pendant que Pek rit discrètement de l’autre côté.
– Lop, tu ne trouves pas qu’elle ferait une bonne actrice dans le futur ? lance Pek, railleur.
– Messieurs, ça ne m’amuse pas, cette scène, repart Kessia. Vous vous êtes trompés de personne, comme cela arrive à tout le monde. Mais je vous promets que je ne vais pas vous dénoncer si vous me ramenez saine et sauve chez moi.
Lop demeure impassible avec son air sérieux. Mais Pek n’en peut plus lui, étourdi par cette scène comique que la jeune fille leur offre. Il y prend plaisir pour rire un peu, car après tout, la comédie détend bien les nerfs.
Kessia réalise que ses ravisseurs se moquent d’elle. Et devinant que ses souffrances et plaintes leur procurent plus de plaisir que de compassion, elle faillit pleurer. Lop la regarde d’un air exaspéré et insensible.
Affamée et assoiffée, Kessia crie de plus belle au secours, mais cette réaction entraîne une gifle qui s’abat sur sa joue. Une gifle lancée par Lop. La jeune fille devient alors violente. Elle crache sur la figure de Lop qui s’éloigne d’elle pour rejoindre son compagnon. Kessia se débat, grimace, profère une pluie de menaces contre ses ravisseurs.
– Si jamais je m’échappe d’ici, je vais vous dénoncer tous les deux, Pek et Lop, sanglote Kessia abandonnant ses vains efforts.
Ces menaces ne touchent guère les deux hommes, car ils demeurent insensibles, attendant qu’elle se calme pour reprendre leur interrogatoire. Quand cela se fait, Lop s’approche d’elle.
– Où est notre butin ? commence-t-il à l’interroger d’un ton sérieux.
– Je ne sais pas, répond Kessia, indifférente. Fichez-moi la paix avec votre histoire de putain ou butin, je ne sais quoi encore. Lâchez-moi, je veux rentrer chez-moi, ajoute-t-elle, le regard fixé sur l’étendue d’eau salée.
– Nous allons te libérer, à condition que tu nous montres où tu as caché notre butin. Nous savons que c’est toi qui l’as dérobé ici. Nous avons les preuves.
– Ici ? Vraiment, vous avez des preuves, alors que je ne sais où je suis ? fulmine Kessia. Vous feriez mieux de me lâcher et me laisser rentrer chez-moi.
– Cela, pas avant que tu nous indiques où tu as caché notre butin, et que nous ayons mis les mains dessus.
– Je vous préviens, si mon père vous attrape, vous risquez de crever dans…
– Ah oui ? s’esclaffe Lop. Tu t’imagines un pauvre pêcheur mettre mains sur nous, Kessia ? Celui-là qui abandonne sa fille pour venir s’immiscer dans notre affaire ?
Kessia paraît perplexe avant de changer de position. Elle regarde Lop, étonnée. D’où a-t-il connu son père en plus son nom à elle, Kessia ?
– D’abord, je vous signale que vous n’avez pas le droit de parler de lui sur ce ton, en plus, il ne m’a jamais abandonnée…, proteste Kessia.
– Vraiment, il ne t’a jamais abandonnée ?
Kessia sentant une boule dans sa gorge, préfère garder le silence. Elle ressent un sentiment d’abandon. Son père n’a jamais le temps pour eux, seulement pour la pêche. Il n’est jamais présent quand elle a besoin de lui. Quand il part à la pêche le matin, il revient le soir, épuisé. Une fois le repas préparé, sa mère doit aller attendre son mari au port en cachant la clé, afin que Kessia et Jego puissent la retrouver, après l’école. Ils vont rester livrés à eux-mêmes jusqu’au retour de leurs parents du port. Kessia, elle, préfère aller s’aventurer dans la forêt ou au bord de la mer.
– Peu importe, c’est ce que j’ai appris des gens, reprend Pek en retirant Kessia de ses pensées. Revenons sur le butin que tu nous as volé.
– Je n’ai rien volé ! proteste Kessia.
– Très bien ! déclare Lop en se relevant.
Lop fait signe à Pek qui lui apporte un sac en plastique avant de regagner sa place. Lop y retire quelque chose qu’il place devant Kessia. Surprise, la jeune fille écarquille les yeux. Elle se rappelle qu’elle a accusé son ami à tort, car le vrai traître est là, sous ses yeux.
– Est-ce que ça t’appartient ? lui demande Lop, très attentif et vigilant.
– Non, ment Kessia en sursautant.
– On peut mentir à quelqu’un, mais jamais à soi-même, n’est-ce pas ? sourit Pek d’un air triomphant. C’est ce bracelet qui t’a trahie. Nous l’avons trouvé dans la grotte où nous avons caché nos biens…
– Des biens mal acquis…, s’enhardit Kessia.
– Comme tu veux, idiote, réplique nerveusement Lop.
– Mais ce bracelet peut appartenir à n’importe qui, proteste Kessia, revenant sur l’accusation retenue contre elle.
– Très bien, jeune fille, déclare Lop. Quand nous trouverons le propriétaire de ce bracelet, tu recouvras ta liberté.
– Que voulez-vous dire ? s’empresse-t-elle de demander.
Kessia n’obtient pas de réponse, car Lop déjà s’éloigne.
Ses ravisseurs la quittent. Kessia fait le même effort pour se trouver face à la mer, où elle était assise au début quand le soleil montait. C’est là qu’elle comprend qu’ils ne sont pas partis monter un autre plan, mais plutôt l’abandonner seule ici.
– Hé ! s’écrie Kessia, apeurée quand elle voit Pek replier son pantalon avant de rejoindre la barque dans laquelle se trouve Lop, la rame en mains. Vous n’allez pas me laisser ici, quand même ! s’affole-t-elle.
– C’est toi qui l’as cherché, petite idiote butée, réplique Lop.
– S’il vous plaît, ne me laissez pas ici, les supplie Kessia, terrifiée. Je vais tout vous raconter, sans oublier le moindre détail, mais ne m’abandonnez pas ici.
– Nous n’avons rien à perdre, même pas ce butin, demain tu nous en diras plus, tranche Lop. Enfin, si nous te retrouvons toujours vivante, puisqu’il existe des animaux nocturnes et carnivores dans cet îlot. Tu l’as bien compris. Ils ne sortent que pendant la nuit, affamés.
Kessia les supplie, leur dit toutes sortes de propositions alléchantes, de conditions les plus banales, de promesses les plus irrésistibles, mais Lop et Pek ne reviennent pas. Car personne n’a peur de perdre sa proie si bien attachée.
– Quand elle commence à crever, elle va nous indiquer l’endroit où elle a caché notre butin, déclare Lop.
Les deux kidnappeurs s’éloignent de l’îlot.
Consciente des conséquences de son obstination, Kessia manque de devenir stupide de peur. Elle imagine toutes les horribles choses qui pourraient lui arriver dans cet endroit inconnu. Un frisson parcourt son corps quand elle pense à ce qui pourrait l’attendre la nuit.