Kessia – chapitre 24 – Le guet

Le guet

  Le soleil se cache derrière les nuages. Et la mer devient toute terne. Elle ne ressemble plus à un miroir étincelant de milliers d’éclats lumineux. Peut-être c’est à cause de cela qu’elle entraîne ses vagues. La mer ne se comporte-t-elle pas comme une jeune fille qui aimerait toujours paraître rayonnante ? En tout cas, ce n’est pas une remarque négligeable.

  Sur le sable, Lop n’arrête pas de se dandiner et de tourner en rond. Il a l’air impatient et nerveux. Toute son attention est tantôt portée sur sa montre, tantôt sur la sortie de la forêt. Ça fait un bout de temps qu’il attend Pek.

   –  Quel incapable de Pek ! peste-t-il. Je n’aurais pas dû lui laisser cette affaire, tout seul.

  Le kidnappeur croise un instant les bras. Il tente de rester tranquille, mais il n’y arrive. Il se trémousse, les yeux braqués sur la sortie. Il plonge la main dans la poche, en extrait la cigarette et le briquet. Il l’allume puis tire une bouffée. Il libère la fumée qui exécute une danse endiablée ou esquisse un dessin surréaliste. Plusieurs autres bouffées se succèdent après.

  La cigarette ne produit pas le calme espéré. L’infâme ravisseur la lâche, l’écrase, l’air crispé. Mais soudain un cri lui parvient, suivi d’un autre. Lop sourit.

   –  Enfin…, dit-il, un peu adouci. Enfin, nous les tenons, ces deux pestes…

  Comme la marée rentre, Lop cherche un endroit où attacher leur pirogue. Il trouve la mangrove parfaite. Quelque chose retient son attention, quand il finit. Une autre corde ? Il suit sa ligne puis découvre qu’elle retient un engin. Mais il ne perd pas son temps pour un machin que la mer a rejeté. Et que lui-même ne connaît pas.

  Le kidnappeur décampe pour rejoindre son jeune acolyte. Avant de suivre la trace laissée par les fugitifs, il s’arme de sa dague. Il avance lentement, sur ses gardes. Un criquet qui saute, un oiseau qui bat les ailes, des herbes qui frémissent, tout cela le rend de plus en plus attentif.

   –  Pourquoi tout ce silence ? s’inquiète Lop. Pourquoi il ne m’appelle pas ?

  Le kidnappeur traîne longtemps, guidé par le chemin que les fuyards ont laissé derrière eux dans leur fuite. Il inspecte tout autour de lui, même le haut des arbres. Finalement, il arrive à un endroit où les herbes sont penchées. C’est là qu’il retrouve son jeune complice, inconscient. Il recule subitement, comme frappé par un fouet. Sa prudence n’attend pas pour dominer sa déception. Il vérifie les parages, en restant sur ses gardes. Rassuré qu’il n’y a personne, il revient près de Pek. Il s’agenouille, pose son oreille sur le thorax de celui-ci. Lop soupire, soulagé. Son jeune acolyte est toujours en vie.

  Le regard du malfaiteur balaie autour d’eux. Il remarque deux bâtons dont un est brisé au milieu. Il voit une trace de sang sur une herbe. Il observe bien son copain : aucune blessure. Il comprend qu’il a blessé l’un d’entre eux, ou tous les deux, pourquoi pas ?

  Lop le porte sur son épaule. Il se dirige vers le rivage. Il le couche sur le sable. Ne sachant pas quoi faire, il réfléchit un instant. La mer ? Il la regarde, puis regarde le jeune homme. Il part chercher un récipient à la lisière du sable. C’est là que la mer rejette tout ce qu’elle ne veut pas. Il en trouve un.

   –  Voyons voir un peu ça, dit-il en retirant ses godasses qu’il jette derrière lui.

  Il s’approche de la mer, remplit le récipient de l’eau, puis rejoint son jeune complice.

   –  Il ne va pas tarder à se réveiller, dit-il.

  Il verse toute l’eau sur la tête de son acolyte. Comme celui-ci n’ouvre pas les yeux, Lop part remplir le récipient. Mais des quintes de toux le font revenir.

   –  Qu’est-ce… qui s’est passé ? lui parvient une voix.

  Lop abandonne sa tasse, rejoint Pek.

   –  Eh bien, ils t’ont assommé, lui explique Lop.

   –  Ils sont où ?

   –  Sûrement quelque part, dans la forêt.

   –  On devrait aller les traquer.

   –  Il est hors de question, s’écrie Lop. Je ne vais pas m’engouffrer dans cette forêt maudite.

   –  Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ?

  Lop réfléchit un instant.

   –  Cachons-nous quelque part, suggère-t-il. Nous allons attendre car ils vont certainement venir détourner notre pirogue. Nous pourrons alors mettre la main sur eux.

   –  Et s’ils ne viennent pas avant la tombée de la nuit ? demande Pek.

   –  Eh bien, on rentre chez-nous. Demain, l’aube nous trouvera de nouveau ici. Ils n’oseront pas traverser la mer, la nuit. On va les traquer, il suffit que l’aube nous trouve ici.

  Pek acquiesce. Tous les deux se cachent pour attendre leurs fugitifs débouler de la forêt.