L’Île de la Magie – chapitre 8 – L’Ombre

Chapitre 8 – L’ombre

Les cris de certains oiseaux, venant de quelque part de cette île Magique, auxquels s’ajoute le bruissement des arbres, chatouillent leurs oreilles. C’est comme s’ils manifestaient tous ensemble leur bonheur que les gamins aient pu franchir cet obstacle saufs, car, jusqu’à ce jour, personne n’y est parvenue… et cela fait partie des signes de la réussite…

Les gamins, poursuivant leur chemin, semblent oublier tout le drame qui vient de se dérouler. Ils sont fiers et joyeux d’avoir réussi à anéantir ce piège sans aucun dommage. Ils souhaiteraient qu’il n’y en ait pas pire que ce dernier.

« Mano, tu n’arrêtais pas de dire que tu me tuerais, tu es sérieux là ? » S’inquiète Dani.

« Je n’hésiterai pas une seule seconde si tu t’obstines à transgresser à nouveau les ordres. » Le prévient Mano suivi d’une menace qui n’inquièterait même pas un chat !

« Ah, ça alors… tu peux en rêver, mais ça n’arrivera jamais. » Intervient Nafi pour défendre Dani, son bien aimé.

« C’est ce qu’on va voir. » Dit tranquillement Mano d’un ton amusé. « Mais avant tout, réjouissons-nous de notre première victoire. »

« Nous t’avons bien dit de ne rien craindre. » Lui rappelle Emma entrant en conversation.

« Tout ne fait que commencer, on n’a encore rien vu, il me semble bien. » S’inquiète Mano. « On ne sait pas ce que nous réserve le reste… célébrons notre victoire. »

Les cris d’acclamation s’élèvent au ciel à plusieurs reprises. Ils se saoulent de joie, c’est normal car toute victoire mérite une acclamation. Mais tout cela se passe avec une sensibilité et une attention à leur maximum, sans omettre la vigilance.

Mano s’amuse de mieux en mieux, mais dans sa tête, tout est différent, il semble un peu obsédé par ses pensées, il se dit qu’il faut toujours sous-estimer ce qui semble difficile et éviter de dénigrer ce qui semble facile. Rien n’est moins sûr et tout est possible. De surcroît, mieux vaudrait se déterminer vainqueur que vaincu avant une épreuve. La plus grande défaite est de se voir vaincu dans sa propre illusion. Il s’inspire de ses propres idées. Parfois il perçoit différemment certaines choses : ce que ses amis trouvent dangereux, il sent le contraire ! Mais par contre, il se méfie prudemment de ce que ses camarades trouvent facile ! Car dans sa tête est gravé ceci : << Le sous-estimé est plein de confiance que le surestimé >>

Quand ils finissent de festoyer, laissant derrière eux les petits feux d’artifice s’éclater en l’air, ils poursuivent leur chemin, la carte se trouvant dans la main de Mano. A une bonne longueur de marche, ils s’arrêtent après que le chef ait reconnu cet endroit coché sur la carte, une petite distance les en séparant. Cette fois-ci les enfants ne veulent pas tarder à détruire le second piège grâce à leur pierre magique. Des gouttes d’eau s’échappent de l’arbre sous lequel ils se tiennent, tombant sur leurs têtes.

« Mauvais signe ! » Songe Mano.

« Mais non, voyons, il y a un oiseau qui se baigne juste un peu plus haut dans l’arbre. » Lui précise Emma.

Mano enfile sa main dans sa poche puis extrait leur pierre magique, il la tend vers cet endroit, prêt à le détruire, ses amis le fixent. Avant de dire la formule magique, une idée lui traverse l’esprit. Sans s’obstiner, il ordonne alors à ses compagnons de le suivre. Ils rebroussent chemin en s’éloignant du piège.

« Mais pourquoi nous nous retournons ? » S’enquiert Dani.

« Obéis ! » Lui ordonne Mano.

Les deux filles ne contestent pas. Ils s’éloignent d’une très bonne distance du piège puis s’arrêtent.

« Allez, approchez-vous. » Leur ordonne Mano.

Animés par la curiosité, ils obéissent docilement pour savoir ce qu’est cette idée. Voilà Mano qui tend de nouveau sa main, au creux de sa paume se trouve leur pierre magique. Il ordonne aux autres de répéter la même phrase en chœur comme pour la première fois. C’est ce qui est fait. La même lumière les éclabousse, s’enroulant et pénétrant leur corps pour y trouver refuge. C’est encore réussi.

« Je mets en garde toute personne qui essaierait cet ordre : pas de farce ! » Les prévient Mano.

Il empoche la pierre magique puis, suivi de ses amis, ils partent pour détruire le piège.  En quelques petites minutes, ils y arrivent. Sans attendre une seconde, il tend sa main vers cet endroit puis marmonne la parole magique. Ca y est ! Un grand bruit gronde de cet endroit ce qui pousse les enfants à boucher leurs oreilles. Un bruit qu’on aurait cru incessant, mais voilà que, à peine quelques secondes écoulées, ce bruit cesse définitivement et un silence total commence à régner. Cette fois-ci, personne ne bouge, Dani non plus, d’ailleurs il est déjà averti par son oncle, mais ce dernier n’exagère pas par hasard vu l’amour qu’il éprouve pour son neveu ?

Les enfants gardent leur calme et restent attentifs autant que vigilants, une bonne dizaine de minutes vient de s’écouler, mais toujours rien, sauf le silence qui effleure leurs oreilles. Quelques minutes après, un grand trou s’ouvre là-bas puis monte une fille en leur faisant dos, apparaissant avoir toutes les qualités d’une fée. Maintenant elle fait face aux enfants. Tous les regards la fixent, les visages peints de stupéfaction, les yeux écarquillés.

« Siata ! » S’exclament Mano et Dani en signe d’étonnement.

« Oh ! C’est elle ? Oh ! Comme elle est aussi magnifique et belle ! Quelle chance pour nous de l’avoir vue, la belle fée ! » S’exclame Nafi, émerveillée.

Quant à Emma, elle se contente seulement de sourire. Nis se met à aboyer contre cette jeune fille d’un cri de malveillance.

« Oh, mon pauvre chien, il n’a pas du tout l’air de me reconnaitre ! » S’exclame cette jeune fille d’une voix hyper douce, sans quitter sa place.- Elle fait face aux enfants qui la dévisagent.- « Comme vous m’avez manqué ! »

Les enfants restent sans mots à dire, tellement stupéfaits du comportement bizarre de leur amie, Dame Fée.

« Voyons, ne dites pas que vous ne me reconnaissez plus, vous aussi ! Allez, je suis revenue vous aider, mais avant tout, lancez-moi la pierre et suivez-moi, nous devons y aller… » Dit-elle aux enfants en libérant un sourire qui illumine son visage de fée.

« Bien sûr que non, nous te reconnaissons bien, mais dis-nous, que faisais-tu dans ce trou là-bas ? » S’enquiert Mano d’un air dubitatif.

Le trou s’est déjà renfermé après que cette jeune fille en soit montée.

« Ce n’est pas le moment, je vous l’expliquerai plus tard, allez maintenant  lancez-la moi, je pars détruire tout ce qui pourrait vous causer des ennuis et vous irez à la Grande Etoile tout doucement, sans rien craindre. »

« Mais pourquoi veux-tu nous retirer cette pierre alors que tu peux les détruire sans celle-ci ?… » Insiste-t-il toujours dubitatif.

« Cesse de poser les questions, je vous raconterai tout cela plus tard. » Réprime-t-elle malicieusement.

Mano n’a pas oublié la récente mésaventure avec les cinq armures, ce souvenir lui reste toujours immuable à l’esprit, mais il commence à croire à cette jeune fille, d’ailleurs ainsi que leurs compagnes. Seul Dani n’exprime pas une forte crédulité. Nis s’est arrêté d’aboyer dès que son maitre a commencé à converser avec cette jeune fille. Mano regarde ses compagnons qui hochent leurs têtes en signe d’approbation, même Dani en fait autant, malgré lui, dans le souci d’éviter le paradoxe. La jeune fille, cachant son impatience, n’insiste pas mais tend tout simplement sa main au garçon, quelques enjambées les séparant. D’un pas nonchalant, le chef se dirige vers elle pour lui restituer la pierre.

Dani reste sans autre mot à dire, se souvenant que Siata, Dame Fée, lui a promis de revenir avec ses amies fées. Pour lui, celle-ci ne peut jamais manquer sa parole. D’ailleurs il est impossible pour lui qu’elle revienne et se comporte ainsi en évitant tout contact, c’est un peu étrange. N’est-ce pas un déguisement ? Et voilà Nis aussi qui ne cesse d’aboyer avec hostilité contre elle, or le premier jour qu’ils se sont rencontrés et jusqu’à ce qu’elle parte, jamais Nis n’a poussé de cri malveillant à l’encontre de Siata. Ces aboiements de leur chien sont inhabituels, ne révèlent-ils pas une suspicion se demande Dani.

Nis essaie vainement d’empêcher son maître d’obéir.

« Que veut Nis ? » Demande Emma.

Mano lui tourne les yeux et hausse les épaules signifiant un «  je-ne-sais-pas » puis s’accroupit pour s’adresser à leur chien.

« Mais voyons, Nis… c’est notre amie, Siata. » Lui marmonne-t-il. « Tu ne la reconnais plus ? Pourtant elle est revenue pour nous aider. »

Nis ne veut rien entendre ni comprendre, il saute sans succès pour retirer la pierre des mains de son maitre et la remettre à quelqu’un d’autre, peut-être à son jeune maitre, Dani.

La jeune fille se mord malicieusement d’impatience, elle s’abstient de réagir rudement. Mano se relève puis poursuit sa marche nonchalante.

« Mano ! » L’appelle Dani. « Tiens, remets-lui cela aussi. » Ajoute-t-il en tendant sa main fermée.

Ses amis le regardent curieusement pour savoir ce que Dani peut bien donner à son oncle. Ce dernier, très exaspéré, rebrousse chemin pour prendre ce que lui tend son neveu. La jeune fille s’ennuie secrètement. Quand Mano s’approche de son neveu, celui-ci marmotte.

« Elle est un peu étrange, tu ne trouves pas ? » Fait Dani.

« C’est pour cela que tu m’as appelé ? » Objecte son oncle, exaspéré.

Sans attendre de réponse, il se dirige vers la jeune fille qui lui lance un sourire énigmatique. Nis intervient en empêchant à nouveau son maître d’obéir, mais celui-ci le pousse d’un coup de pied, le pauvre chien s’écarte et se remet à aboyer contre la jeune fille.

« Je crains que cela ne soit pas une bonne idée. » Lui lance Dani. « La naïveté conduit à la perdition. » Ajoute-t-il.

Pas de réponse. Pas besoin d’écouter un seul mot de son neveu.

« Dani a certainement raison, sinon pourquoi Nis insisterait-il autant pour riposter. » Le rejoint Nafi.

Maintenant besoin d’écouter plus, et mais ne détonne dans la poursuite de sa marche nonchalante.

« Souviens-toi ce que nous disait grand-mère Madeleine : << Les belles paroles sont parfois sournoises >>. Nis est plus intelligent que tu ne saurais l’imaginer, tu ne remarques pas qu’il t’empêche d’obéir, es-tu sot à ne rien comprendre ? » Insiste énigmatiquement Dani.

Ces paroles sèment une confusion incontournable dans la tête de Mano, il s’arrête soudainement alors qu’il ne lui reste plus que cinq enjambées pour rejoindre cette jeune fille, toujours indifférente aux paroles qui vont à son encontre et qui continue à tendre sa main, le sourire aux lèvres. Qui donc faut-il croire, la jeune fille ou ses compagnons ? Mano écoute son cœur. Il ne fait plus un pas en avant mais bien au contraire en arrière, fixant cette fille dont le sourire illumine son visage de fée, et soudain ce sourire disparait.

« Vous me rejetez maintenant ! Parfait vous l’aurez cherché ! » Les menace-t-elle.

Mano reste plus que dubitatif ne sachant toujours pas qui croire, il laisse son esprit le guider. Dani se tient seul à l’écart. Mano recule vers ses compagnons.

La jeune fille disparait alors mystérieusement et les gamins prennent panique, mais ils restent attentifs et vigilants ; quelques secondes s’écoulent avant qu’à leur grande surprise, quelque chose d’étrange ne monte du même trou qui se referme aussitôt.

« Une ombre ! » S’exclament les enfants, à moitié terrifiés et stupéfaits.

Mano pressent que cette fois-ci, quelqu’un serait attaqué parmi eux, et leur pierre serait réclamée pour le libérer. Pensant à tout cela, il ordonne alors quelque chose à leur pierre puis en garde secret. La magie qu’ils ont reçue de la pierre ne pourrait atteindre l’ombre, elle serait capable d’en esquiver les jets.

« Donnez-moi cette pierre !» Grogne l’ombre d’un ton fort et exigeant.

Pas un seul mot. Les enfants essayent alors de se mettre à l’abri derrière Mano qui détient leur pierre magique, mais l’ombre profite de ce moment, et avec une vitesse incroyable, intercepte Dani qui voulait se sauver. Maintenant il ne peut ni empoigner l’ombre, ni se débattre, celle-ci s’enroule autour de lui comme font les serpents à leurs proies. Tout est gâché car il faut sauver la vie de leur ami, Dani.

« Que veux-tu, laisse-le donc tranquille ? » Lui lance Mano.

« Tiens ! Tiens ! » Fait l’ombre d’un sourire béat et forcé. « Donne-moi ma pierre pour laisser la vie de ton ami saine et sauve. »

« Mais… »

« Obéis ! » Réprime l’ombre farouchement. « Il n’y a pas de « mais » ni explication, je n’en ai pas besoin, c’est la pierre que m’intéresse. »

Elle étouffe Dani qui hurle de douleur pour pousser leur chef à se résigner.

« Bon, d’accord ! Pour tout amour que nous éprouverons pour notre ami, nous te cèderons la pierre et au retour, tu lâcheras notre ami. »

« Marché conclu ! » Approuve l’ombre d’une voix béate.

Mano s’approche un peu d’eux puis se penche, il regarde son neveu avant de déposer définitivement la pierre à terre.

« Non, Mano ! Ne fais pas, désobéis ! » Balbutie Dani d’une voix étranglée.

« Silence, toi ! » Menace l’ombre.

« Je n’ai pas le choix ! » Conclut Mano en s’adressant à son neveu puis rejoint sa place.

Les deux filles et Dani sombrent dans le désespoir. Tenant toujours le gamin qui se laisse faire, l’ombre le traîne vers la pierre. Une fois rapprochée, elle lâche le neveu qui s’écroule de tout son long et se relève péniblement pour rejoindre ses amis. Les deux filles accourent et l’aident à se relever, elles l’emmènent près de son oncle. L’ombre s’empare de la pierre et commence à se glorifier et se gratifier d’éloges d’une voix à fendre les tympans.

« Oh ! Je serai le nouveau chef de cet îlot et nul ne saurait m’arrêter, je commanderai tout en commençant par ces minables pauvres humains ! » S’exclame-t-elle, les mains et les yeux levés vers le haut.

Pendant qu’elle continue à se glorifier, Mano tire la véritable pierre de sa poche puis vise parfaitement l’ombre. Ses amis demeurent plus perplexes que stupéfaits devant la ruse de leur chef car ils pensaient que tout était fini. Mano marmotte alors à la pierre bleue magique d’anéantir l’ombre en cendre. Une forte lumière incontournable en surgit et se dirige vers leur adversaire qui s’apprêtait justement à faire son assaut.

« Hé ! » Lui crie Mano d’un ton persifleur, « tiens ça, tu l’as oublié avec moi ! »

Sans aucun moyen de l’éviter, l’ombre voit cette lumière la transpercer, la rendant impuissante et vulnérable, avant qu’elle ne devienne une statue de cendre et s’abîme comme si on la creusait. Le gamin lui a montré combien la naïveté conduit aux ennuis. L’ombre n’est maintenant que poudre sur le sol et le vent l’éparpille de tout côté.

Dani retrouve son meilleur souffle, ils sautent tous dans les mains des uns et des autres pour commencer à célébrer leur deuxième victoire.

« Apparemment, tu es un héros, Mano ! » Complimentent ses compagnons en chœur et poussant des cris.

Mano se contente de sourire seulement.

« Comment as-tu réussi à tromper cette ombre ? » S’étonne Dani.

« J’avais ordonné à la pierre de créer son double, en apparence seulement !  Car je savais que ça risquait de se passer ainsi… » Leur révèle Mano.

« Tu es trop rusé, tu sais ! » Fait Dani en souriant.

« C’est grâce vous ! Sinon j’allais donner la pierre à cette ombre lorsqu’elle s’est déguisée en notre amie, Siata, la fée. »

Ils esquissent tous les quatre des sourires béats et de nouveaux cris s’élèvent au ciel.