Kessia – Chapitre 25 – Pake

Pake

  La forêt semble toute lugubre. Les arbres sont trop calmes, peut-être affectés aussi par quelque chose… la douleur de Kessia ? En tout cas, certains l’ont vue pleurer sans pouvoir la consoler. Les voilà la regarder passer au milieu d’eux, son ami sur l’épaule. Dommage qu’elle décline le refuge qu’ils leur offrent.

  Kessia marche très longtemps dans la forêt, sous les arbres, en quête d’un refuge sûr. Elle se repose parfois et s’endort un peu, avant de reprendre son chemin, Pamito sur l’épaule. Plus la forêt s’ouvre devant elle, plus elle redouble de prudence. D’ailleurs, elle craint de piétiner la queue d’un serpent, de croiser un animal féroce ou tout autre danger. Mais par bonheur, son effort ne tarde pas longtemps à trouver récompense.

  Dans l’endroit qu’elle vient de trouver, elle se sent en sécurité, Elle se sent hors de portée de leurs envahisseurs. Elle étend son ami à l’ombre d’un arbre. Elle place pour une énième fois son oreille sur le thorax de Pamito. Il vit toujours ! Epuisée par cette journée folle, malgré ses petits repos, Kessia s’étale auprès de lui. Elle ronfle sans tarder.

  Dans son rêve, la jeune fille se retrouve au fin fond d’une forêt, avec Pamito, la nuit. Celui-ci gémit de douleur, affalé sur les feuilles mortes. Kessia lui dit de tenir bon avant son retour. Le garçon acquiesce avec peine. Elle s’éloigne de lui, part en quête de la plante conseillée. Elle se voit marcher longtemps entre les arbres, les herbes et soudain, une lumière dorée attirer son attention. Elle se dirige vers l’endroit. Elle la trouve, parmi tant d’autres. La seule dont les fleurs illuminent comme les lucioles dans la nuit. Kessia se voit en cueillir une bonne quantité qu’elle va utiliser sur la blessure de son ami. Mais quand elle retourne auprès de lui, elle ne le retrouve nulle part…

  Kessia se réveille brusquement, le cœur galopant. Elle se calme, quand elle voit son ami bien en sécurité, près d’elle. Ce n’est qu’un cauchemar, rien de plus. Cependant, elle reste assise et ne s’endort plus. Elle contemple tout autour d’eux. Comme le petit soir tombe, une idée dessine le feu dans sa tête.

  La jeune fille s’arrête après quelques enjambées. Elle regarde son ami, car elle vient de penser à son cauchemar. Attend-il qu’elle s’éloigne un peu de son ami pour se produire ? Elle risque, mais pas trop. Elle cherche les bois de fagots autour d’eux. Puis ose aller un peu loin de son ami pour en trouver davantage. Et quand elle revient au camp, elle retrouve son ami, toujours inconscient. Elle décide de nettoyer leur refuge. Après, elle place les bois de fagot pour allumer le feu. Le sac de son ami l’invite à le fouiller. Elle le vide. De la nourriture, de l’eau, des babioles, des allumettes, enfin des bougies. Kessia attise le feu.

  La lumière du feu s’impose dès la tombée de la nuit. Et quand Kessia sent la crampe au ventre, elle s’empare de quelques vivres, tout en laissant une quantité suffisante pour Pamito. Elle vient s’installer à côté du garçon, pas très loin du feu. Elle se met à croquer dans son pain, en regardant ses invités autour du feu.

   –  Paraît qu’ils sont trop contents de nous avoir pour compagnons ce soir, ces insectes, murmure-t-elle, en souriant.

  Elle se perd bientôt dans ses pensées. Elle ferme les yeux, voit ses parents, son petit frère Jego, les parents de Pamito, ses amis, bref tout le village, tous inconsolables. Un hoquet soulève sa poitrine, mais elle parvient à le réprimer. Et son lapin ? Elle rouvre soudain les yeux ; les larmes brouillent déjà sa vue. Elle les frotte du revers de sa main. L’appétit coupé, elle abandonne le reste du pain à ses invités. Elle part se coucher à côté de Pamito. Avant de fermer les yeux, elle se demande si elle aura encore la chance de le retrouver vivant le matin.

  Le matin venu, il a fallu quelque temps à Kessia pour comprendre que ce n’est pas un cauchemar, cette fois-ci. Pamito disparu ? Non, tout sauf ça. La jeune fille sent sa tête s’échauffer. « Non, non, tu ne dois pas devenir folle, ni t’évanouir, ressaisis-toi, il ne doit pas se trouver loin », s’encourage-t-elle. Elle cherche dans tous les parages, mais aucune trace de son ami. Elle revient s’asseoir, et enfouir son visage entre ses mains.

  Kessia reste ainsi quelques moments, lorsqu’une main se pose sur son épaule. Elle sursaute en ôtant ses mains de son visage. Elle écarquille les yeux, son visage baigné dans un sourire. Enfin, te voilà, Pam ! Elle se lève, se jette dans les bras du garçon.

   –  Tu m’as fait peur, Pam, murmure-t-elle, après l’étreinte. Où étais-tu parti ? J’ai failli devenir folle, à mon réveil.

   –  Je suis désolé, Kessi, commence le garçon. Quand je me suis réveillé, l’aube tombait déjà, je n’ai pas pensé à te déranger. J’ai mangé deux galettes et deux fromages avant de partir explorer le coin. Et devine ce que j’ai ramené !

   –  Des poissons ! s’exclame Kessia. Où tu les as trouvés ?

   –  A peu près à une vingtaine de minutes d’ici.

   –  Ça veut dire que la mer est à une vingtaine de minutes de nous ?

   –  Non, mais plutôt une rivière.

   –  Une rivière ici ? s’étonne Kessia, mais aussi ravie. Je sens qu’on va bien s’amuser. D’ailleurs, je vais en profiter pour t’apprendre à nager.

   –  Une excellente idée, sourit Pamito. Mais en attendant, on va bien fumer ces poissons. Je les ai capturés grâce à une sorte de lance que je me suis taillé.

  Bientôt la bonne humeur s’élève, tourbillonne autour d’eux. Kessia écaille les poissons, Pamito prépare le feu. Pendant que les poissons fument, ils bavardent un peu.

   –  Explique-moi comment tu y es parvenue, entame Pamito. Parce que je ne me rappelle que du moment…

   –  Oh ! Quelle importance, Pam ! fait Kessia. Ce qui compte, c’est que toi et moi, nous sommes encore sains et saufs.

   –  C’est vrai, concède Pamito. En tout cas, tu es une brave fille.

   –  Merci Pam, sourit Kessia, flattée. Toi, tu es un courageux en vogue…..

  Quand leur déjeuner se montre prêt, ils s’en régalent aussitôt. Ils se sentent libérés de toute leur angoisse, tristesse, peine, peur. De tout.

   –  Le poisson, que c’est bon ! lance Pamito.

   –  Pour un affamé, il n’y a pas un aliment meilleur que le poisson ! enchaîne Kessia.

   –  Ah bon ? Tu n’en manges pas la tête, Kessi ? Eh bien, tant pis ! Moi je mange tout !

    –  Tu sais, Pam, on raconte que manger la tête de poisson, ça rend bête.

   –  Oh ! Fais pas attention aux vieilles conneries.

    Kessia s’esclaffe, Pamito aussi. 

   –  Même les arêtes des poissons ? s’esclaffe la jeune fille.

   –  Ah ! Ça, non !

  Ils se taquinent, se pourchassent entre les arbres, puis reviennent s’asseoir.

   –  Et si on en laisse un peu ? suggère Pamito. Quand on revient de la rivière, on le mange.

   –  Très bien. Allons-y, je suis pressée, s’agite Kessia, excitée. Ça fait quelques jours je n’ai pas senti l’eau sur mon corps.

   –  Allez, on y va !

  Les enfants courent entre les arbres, écartant et esquivant les branches, les herbes etc. Une course presque effrénée, pleine d’excitation. Ils débouchent bientôt sur la rivière.

  Kessia est conquise. Elle admire le fond pur de la rivière. Elle voit même les petits poissons nager dans l’eau. Le courant d’eau est calme. Elle constate que la rivière est bordée de jolies fleurs dont le parfum flotte. Et quelques endroits de la rivière sont jonchés de pierres. Elle sourit quand elle pense se trouver séparée de l’autre rive par une portion d’eau. Elle essaie de mesurer mentalement la distance qui les sépare de celle-là…

   –  On commence mes leçons de natation, professeur ? lui lance soudain son camarade, d’un ton narquois.

  Elle le regarde, émerveillée.

   –  Elle est chouette, cette rivière, commente Kessia. Mais il faut d’abord qu’on vérifie si elle n’est pas profonde.

  Pamito secoue la tête.

   –  Puisque tu ne sais pas nager, je vais le vérifier moi-même, annonce Kessia.

  Le jeune acquiesce, fait un sourire quelque peu ironique.

  La rivière accueille Kessia. Elle marche doucement dans l’eau. Elle n’attend pas que la jeune fille arrive au milieu, pour lui monter au rein. Soudain, Kessia entend le bruit d’un plongeon. Elle retourne la tête, mais ne voit que les écumes blanches. Elle ne voit pas non plus son ami. Elle fixe l’endroit du plongeon.

   –  Concours de natation, déclare Pam à peine la tête hors de l’eau.

  Etonnée, Kessia écarquille les yeux.

   –  Comment veux-tu qu’on fasse le concours si tu ne sais pas nager ? réplique-t-elle.

   –  C’est ce qu’on va voir, sourit Pamito. Je te lance le défi.

   –  Tu rigoles, mon vieux.

   –  Accepte de le relever.

   –  Tu veux me faire croire que tu sais nager ?

   –  Voyons voir ça.

  Il remonte sur la rive, trace une ligne. Kessia comprend qu’il ne badine. Elle le rejoint.

  Kessia regarde son ami qui fixe le point d’arrivée. Cette attitude la trouble.

   –  Tu es sûr que tu sais nager ? s’inquiète-t-elle.

   –  Tu es prête ? sourit le jeune garçon.

  Kessia hausse les épaules avant d’acquiescer. Mais au fond, elle reste anxieuse pour son ami. Elle se dit qu’elle le secourrait au cas où… On compte jusqu’à trois. Et c’est parti ! Tous les deux plongent dans l’eau. Vite, Kessia remarque que son ami sait bien nager, ce qui la surprend, alors elle ne s’inquiète plus pour lui. Ils atteignent l’autre rive presque au même moment, même si Kessia le devance de quelques secondes.

  Le garçon reprend le dessus sur Kessia qui pensait que la course se limitait là. Elle arrive au point de départ, cette fois-ci,  quelques secondes après Pamito.

   –  Tu as gagné, déclare Kessia, hors d’haleine, vaincue. Je pensais que… enfin, c’est inutile. Comment tu as appris à nager ?

   –  Quand j’étais avec ces garçons, répond Pamito, extasié de sa victoire.

   –  Et pourquoi tu n’as pas pris part au concours de natation ?

   –  Parce que je voulais les éviter.

   –  Eh bien, baignons-nous, maintenant.

  Ils barbotent, se barbouillent de poignées d’eau. Las, ils explorent le fond de la rivière. Ils ramassent des merveilleuses pierres qu’ils accumulent sur la rive. En redescendant dans l’eau, Kessia s’arrête net. Elle vient de happer une idée qui traversait sa tête. Ses traits s’illuminent.

   –  Pam, comme tu le sais, quand on découvre quelque chose, on lui donne un nom ! explique-t-elle, les yeux brillants.

   –  Oui. Et ? dit Pam, qui ne comprenait où elle veut en venir, impatient.

   –  On a découvert cette rivière, Pam ! poursuit la fillette, excitée. On lui doit un nom. Voilà ce qu’elle attend de nous, un nom ! Et cet honneur te revient, cher Pam !

  Le garçon sourit, ravi. Il se met à réfléchir. Des milliers de noms tourbillonnent dans sa tête. Ça carillonne, ça ronronne, ça apparaît, ça défile, ça disparaît, les noms de toutes les couleurs, de tous les sons, de tous les caractères. Le garçon pense choper le vertige, quand un nom réussit à s’imposer enfin. Il sourit, triomphant. Il fait face à la rivière.

   –  Rivière, dorénavant, tu te nommes Pake, déclare Pam.

   –  Pake ! Quel drôle de nom ! pouffe de rire Kessia. Mais où tu es parti ramasser ce nom ?

   –  C’est le premier son de chaque prénom de tes explorateurs, Pamito et Kessia, conclut le garçon.

   Sa camarade cesse de rire, impressionnée.

  –  Hum ! Une idée de génie ! commente Kessia, ravie. Bien joué, mon vieux gars !

  Le garçon lâche un sourire fier. Satisfaits, ils se regardent, se sourient, puis ramassent les pierres amassées dans la rivière. C’est leur trésor. Ils regagnent leur camp, le moral clair.