Kessia – chapitre 14 – L’escapade

 Kessia – 14 – L’escapade

Kessia et son compagnon peinent à trouver des flotteurs pour leur engin. Quant à Jego, il vient de se trouver un copain, avec lequel il partage la même passion : la lecture et le dessin. Mais que de gribouillages quelquefois !

La jeune fille et son ami n’arrêtent pas de fouiner dans tous les coins habités de leur île. Mais nulle part, aucune trace. Et cela ne va pas sans aucune  conséquence. Pamito est désespéré et découragé. Il tente de prouver par mille raisons, à son amie, qu’il était déjà écrit que ce périple n’aboutirait pas. Pourtant, il n’y en a qu’une, une seule raison qui compromet cette expédition.

–  Ça fait déjà deux jours que nous traînons en quête de flotteurs, mais ça ne se trouve nulle part, explique le jeune garçon. Cela devrait te dire quelque chose, mais je ne sais pas pourquoi…

   –  Je suis triste, tu sais, Pam, déclare la jeune fille. Ce n’est pas la difficulté de dénicher des flotteurs qui m’attriste, mais ton pessimisme ! J’ai bien peur qu’il ne soit ta perte.

–  Quand tu trouveras des flotteurs, préviens-moi, dit le garçon, impassible, avant de s’en aller.

Kessia se sent aussitôt abandonnée. Tout s’effondre en elle. Finalement, elle se retrouve sur le point de renoncer. La nuit, elle ne dort pas bien. Trop assommée, elle ne saisit le sommeil qu’au prix de quelque effort. Mais le lendemain, la voilà  surprise de revoir son compagnon tout agité et motivé.

–  Je suis désolé, Kessi, commence-t-il, d’un ton sincère. J’ai eu tort de penser ainsi, c’est idiot. De telles pensées ne nous mènent à rien, sauf entraîner notre perte ! Mais me revoici, disposé à t’aider jusqu’au bout.

La jeune fille n’en croit pas les oreilles. Il lui semble même qu’il se moque d’elle. Toutefois, elle croit en la sincérité de Pamito. Elle libère un sourire qui illumine tout son être.

   –  J’ai une petite idée, dit soudain le jeune garçon.

Kessia approuve l’idée, puis la happe.

Chaque hiver, la mer entraîne des tas d’ordures sur les côtes insulaires. Quelques fois, on peut tomber sur certains machins utiles, tout comme d’autres anodins, échappés aux passagers, voyageurs, touristes et rarement aux pêcheurs. Mais parfois, ce sont des bidules presque sans grande importance qu’on peut trouver, comme des bracelets, des peignes, des bâtons et tout un tas d’autres choses. Pourtant, les gosses en font leur trésor… La mer, ça n’aime pas la saleté. Ça aime plutôt ce qui se bat, comme ses poissons.

Quelques heures suffisent seulement aux enfants de trouver l’objet de leur quête … et pas n’importe où, c’est juste… sous leur nez ! Tout près de là où Jego est allé pêcher, la dernière fois ! Incroyable, non ? Perdre deux jours à chercher quelque chose qui en fait se trouve sous son nez! Ces flotteurs se trouvaient éparpillés et coincés entre les pierres.

Les flotteurs trouvés, les deux enfants renversent le radeau. Ils les attachent, comblent les autres parties par des bidons. Mais quelques instants après, ils les retirent de l’engin, ne pouvant le traîner tout équipé  jusqu’au rivage. Cela n’apporte pas grand-chose.

Avec grande difficulté – cette action leur demandant un effort peu imaginable – ils réussissent enfin à mener leur radeau jusqu’à la rive, puis reviennent chercher les flotteurs pour les lui remettre.

–  Alors, l’expédition, c’est demain ? demande Pamito, après la dernière touche.

   –  Demain ! s’étonne Kessia. Ça semble encore très loin. J’embarque maintenant…

   –  Mais la nuit va te rattraper sur ce machin ! s’affole Pamito.

Pour toute réplique, Kessia pousse le radeau dans l’eau. Toute seule. Pamito comprend qu’il ne peut pas la faire changer d’avis.

   –  Pam, l’appelle à l’aide Kessia, n’y parvenant pas toute seule.

Il la secourt, malgré lui.

   –  Sois prudente, Kessi, lui conseille Pamito, quand celle-ci s’apprête à monter sur le radeau.

   –  Je te le promets, dit solennellement Kessia. Mais ne dis rien à personne !

Le jeune garçon secoue la tête. Ils se serrent l’un contre l’autre un instant, puis se relâchent.  Sans marmonner un seul mot. Mais leur étreinte en disait long. Kessia regagne le radeau qui ne lui semble guère promettre le moindre danger.

   –  Tu sais bien que tu n’es pas obligée, Kessi…, insiste Pamito.

   –  Oui, je le sais bien, Pam.

Alors, à peine finit-elle de parler qu’elle s’étonne de voir son ami se déchausser et descendre dans l’eau.  Est-il pris de courage pour l’accompagner ? Mais elle comprend. Alors, elle saisit sa pagaie, s’assied et plie ses jambes. Pamito se met à  pousser le radeau.

   –  Dépêche-toi de me… enfin, je voulais dire de nous revenir, corrige Pam, laissant son amie se débrouiller avec sa rame. J’ai hâte de savoir ce que tu vas découvrir dans cet îlot.

   –  Tu as donc bien fait de compter sur moi, mon vieux, lui sourit la jeune fille.

   –  A très bientôt !

Kessia rame lentement, s’éloignant de la rive, mais aussi de son fidèle compagnon.

La jeune fille affronte, surmonte les épreuves de cette immense eau salée. Elle ne s’inquiète nullement pour les vaguelettes qui cognent son radeau. En saison sèche, la mer est encore plus calme. Les vagues sont très rares. Et la mer ressemble à un véritable miroir de fond bleu où défilent quelques nuages et oiseaux.

Cependant, sa crainte est tout autre. C’est celle de croiser, d’être poursuivie par ces inconnus en sortant de nulle part, mais aussi de chavirer suite à l’apparition inattendue d’un monstre marin. Tout au long de la traversée en mer, Kessia se montre attentive, vigilante, prudente et surtout craintive.

Mais enfin, toute cette anxiété chavire lorsqu’elle se trouve prête à débarquer. Elle réalise une brève inspection sur les côtes de l’îlot, afin de vérifier si un danger ne la guette pas. Mais rien. Inutile donc de s’inquiéter. Cette rassurance balaie toute sa crainte.

Quand Kessia s’approche de l’îlot, elle se tient debout, sa rame en mains. Elle remarque un endroit bien garni de sable. Mais par prudence, elle longe les côtes pour trouver une bonne cachette pour son radeau. Elle trouve une baie où elle peut cacher son engin. Ce qu’elle fait aussitôt.

Le radeau attaché, elle escalade les rochers. Elle revient vers l’endroit sablonneux qu’elle a dépassé sur son engin. De là, elle examine autour d’elle. Aucun danger.

Bien qu’habituée à la forêt, la jeune fille se montre quelque peu craintive et méfiante. Elle hésite à pénétrer dans cet univers inconnu. Elle attend quelques instants, peut-être pour rassembler tout son courage. Décidée, elle écarte les petites herbes qu’entrave le sable. Kessia se lance dans l’aventure.

La jeune fille erre dans l’ilot. Elle passe sous les arbres, s’arrête quelque temps. Elle écoute. Elle n’entend que le chant des feuilles, auquel elle n’y comprend goutte. Soudain, elle n’entend plus rien. Un silence total ! Ce silence étrange l’effraie et lui donne la chair de poule. Elle sent ses jambes trembler, sa tête tourner, prise de vertige. Bientôt, il lui paraît voir les arbres devenir des montres, l’îlot commencer à tourner comme un disque. Elle ferme les yeux, se saisit la bouche pour s’empêcher de crier de peur. Dans sa tête, tout se met à danser, à tourner, à tourbillonner… et finalement elle s’écroule.

La jeune fille reprend ses esprits quand le calme revient. Comme elle ne sait pas quoi faire, elle s’assied sur le pied d’un arbre, se sentant perdue. Ces quelques instants ont suffi pour la désorienter. Mais subitement, elle se lève d’un bond, l’air déconcerté. Ses leçons de géographie viennent de remonter dans sa tête. C’est alors qu’elle saisit à la volée la notion sur les quatre points cardinaux.

Kessia se dirige vers l’Est de l’île. Quand elle entend les vagues se fracasser sur les rochers, elle sourit. Le rivage atteint, elle s’arrête sur un grand rocher. Elle laisse son regard dérivé sur l’étendue d’eau salée, admire son immensité. Elle pense aussitôt que celle-ci touche le ciel.

   –  Et un jour, espère-t-elle, j’irai toucher le ciel de mes propres mains… sur mon radeau.

Cependant, sa notion sur le globe terrestre comme quoi la terre est ronde, l’en dissuade… Elle n’en rêve plus.

Kessia gambade sur les rochers comme une petite agnelle. Contre toute attente, elle remarque une pirogue. Elle ne pense pas autrement. Elle devine la présence de ses propriétaires.

   –  Hum ! La curiosité, c’est un défaut excitant, on dirait, sourit-elle. Heureux, qui est curieux !

Kessia se fraie donc un chemin dans la forêt, le regard furetant partout. Elle avance avec vigilance et précaution, mais aussi avec la crainte d’être happée. Dans son errance, elle intercepte quelques gouttes de voix. Bientôt, elle découvre deux hommes, les mains pleines de hautes herbes, s’en allant. Kessia les suit prudemment, se faufilant derrière les arbres. Quand elle les retrouve assis, elle se cache derrière un arbre, camouflée par les herbes, à quelque distance d’eux. Elle les observe entrain de manœuvrer, tous deux accroupis.

La jeune fille se demande ce qu’ils sont en train de faire. Font-ils un serment ? Mais elle ne s’en soucie pas trop. Elle leur donne, à chacun d’eux, un âge. Le plus jeune une vingtaine d’années, l’autre un peu plus.

   –  Et voilà qui est bien fait ! s’exclame soudain le plus âgé, qui semble satisfait de son idée.

   –  Sans doute, approuve l’autre, le plus jeune. On va pouvoir rentrer, il n’y a plus aucun risque.

   –  Et quand  tout  sera  fini,  nous retournons ici… mais qu’y a-t-il ? s’enquiert soudain le plus âgé, quand son compagnon se lève brusquement.

   –  Ben, rien du tout ! répond le plus jeune. Je veux vider mon sac. Ça me tenaille.

Il s’arrête derrière un arbre, excrète l’urine, en sifflotant. Kessia se sent mourir de peur. Car elle se trouve derrière l’arbre auprès duquel le jeune homme se soulage. Elle ferme les yeux, coupe son souffle. Puis reste désespérée, attendant qu’on l’attrape. Mais cela ne se produit pas. Finalement, elle entend les pas du jeune homme s’éloigner de sa cachette. Elle rouvre ses yeux, respire profondément, soulagée. Elle reste quelques temps sans bouger. N’entendant que le bruissement des arbres, elle réunit toute sa hardiesse pour quitter sa cachette.

Kessia inspecte tout autour d’elle. Une partie élevée de terre, vêtue de mauvaises herbes, retient toute son attention. Elle s’y approche d’un pas prudent, l’air vigilant. Elle remarque un mégot écrasé. Mais elle n’a pas le temps pour tout autre chose, quand lui parvient une voix jurant comme un charretier. Elle court se cacher à  nouveau.

   –  Qu’une mouche me donne une raclée vertigineuse ! profère cette voix, une fois proche de l’endroit. Si je ne retrouve pas ce foutu briquet, je me tire d’ici, vite fait !

Kessia reconnaît cette voix. C’est celle du plus jeune. Elle absorbe le bruit de ses pas errants, n’osant pas le suivre des yeux. Néanmoins, elle imagine les gestes du jeune homme. Répandre son regard partout. Se pencher. Ecarter du pied quelques feuilles pourries tombées. Et enfin, le retrouver…

   –  Non, explose le jeune inconnu, excédé d’ennuis. Je n’irai pas le chercher là-bas, c’est déjà décidé !

La Jeune fille devine ses pas s’éloigner, pour ne plus revenir. Elle abandonne sa cachette, s’approche du même endroit. Elle s’accroupit, observe attentivement. Elle constate quelques mauvaises herbes replantées. Intriguée, elle les arrache… et une entrée obscure s’ouvre devant elle. Devinant ce que c’est, Kessia en demeure étonnée. Elle se relève et recule juste de quelques pas.

   –  Quelle ruse ! s’exclame-t-elle avec sourire, fascinée. Si je ne suis pas tombée sur eux, je n’allais jamais savoir l’existence de cette grotte, ici !

Kessia réfléchit un instant. Elle cherche à savoir comment s’engouffrer dans cette grotte affreusement obscure. En plus, sans laisser une quelconque trace suspecte. Elle tourne en rond. Et soudain, déséquilibrée par quelque chose sur laquelle elle a posé un pied, elle vacille. Elle vocifère en remontant son bracelet qui menace de tomber, parfois. Elle balaye l’herbe complice de son déséquilibre, la mine furieuse. Aussitôt, un objet roule sur les feuilles pourries, s’immobilisant sur l’une d’entre elles. Kessia le reconnaît, sans aucun doute.

   –  Le briquet qu’était venu chercher cet inconnu, dit-elle.

Elle le ramasse, le presse et le briquet s’allume. Là-dessus, une idée clignote dans sa tête. Elle ne s’en prie pas une seconde fois. Elle s’en servira donc pour découvrir la grotte ténébreuse.