Kessia – chapitre 7 – Le défi

Kessia – chapitre 7 – Le défi

 

Quelques semaines plus tard, le directeur passe dans toutes les classes, indigné. Pour annoncer les concours interclasses. En réaction à la critique sévère des mots. Il a lu leur lettre. Ça ne lui a pas plu. Il était dans une colère noire. Toutefois, il a jugé sage de ne rien reprocher aux enfants. Préférant plutôt les mettre à l’épreuve, pour savoir si les propos des mots tiennent. C’est ainsi qu’il a décidé d’organiser cet événement. Un concours qui devra bientôt se tenir dans pas longtemps. En attendant le jour, les candidats devront se préparer conséquemment.

Les classes de quatrième, de cinquième et sixième feront le concours d’épellation. « J’espère qu’à l’issue de cette compétition, ils seront rigoureux dans la maîtrise de l’orthographe, » juge le directeur. Et chaque classe doit présenter au moins dix candidats. Charge qu’il laisse aux différents maîtres qui devront dresser la liste de leurs candidats. Le directeur tend une fiche à M. Jano, le maître. Celui-ci la parcourt des yeux.

 « Deux cents mots ! s’exclame-t-il, en relevant la tête, éberlué.

  • Oui, M. Jano, répond le directeur. Je n’ai pas apprécié la diatribe des mots contre mes élèves. Je suppose que vous, non plus.
  • Non, bien sûr. Une critique d’ailleurs absurde !
  • Faisons attention que vos écoliers n’en sachent rien. Car j’ai bien peur qu’ils ne soient fâchés jusqu’à exagérer…, murmure le directeur. Ils pourraient encore plus les torturer, s’ils venaient à le découvrir…
  • Ne vous inquiétez pas, M. le directeur.
  • Veillez donc à ce que vos candidats maîtrisent les orthographes, voire le sens de ces mots, lui indique le directeur avant de faire face aux enfants.Les candidats, si vous voulez bien remporter les prix, vous devrez être rigoureux et exigeants envers vous-mêmes. Car il y a des règles à respecter. Je vous souhaite bonne chance. »

Le directeur livre à M. Jano une autre fiche sur laquelle est écrit le règlement du concours. Puis quitte la classe, laissant les élèves murmurer entre eux, le maître examiner la fiche. Il y a des écoliers qui jugent beaucoup trop les mots, d’autres sifflent carrément qu’ils ne vont pas y participer. Cependant, il existe une catégorie bien discrète qui se garde de tout commentaire. Kessia est de celle-là. Elle n’est pas certaine de vouloir prendre part au concours. Elle pense qu’elle n’est pas crédible. Elle n’ignore pas non plus que personne ne saurait compter sur elle, lui faire la moindre confiance, hormis Pamito. Donc inutile de s’inquiéter pour sa sélection. « D’ailleurs, cela me coûterait bien assez de temps et d’ennuis, » se dit-elle. Même si elle se dit qu’elle n’a aucune chance, elle se met quand même à prier qu’elle ne soit pas retenue. Dans son for intérieur.

« Alors, tu vas participer, Kessi ? »

La question de Pamito l’embarrasse fort bien qu’elle en demeure perplexe. Elle tente de dire quelque chose quand même.

    « Peut-être… Ça dépend du maître. Même si je le veux, s’il ne me retient pas, je ne pourrai rien faire…, argumente-t-elle.

  • Moi aussi, fait son ami, souriant.Je veux bien y prendre part… »
  1.   Jano informe ses élèves qu’ils vont régler cela à la fin des cours. Sans plus tarder, ils passent au cours d’orthographe. Et seule la récréation ose les interrompre.

Pamito décrète qu’il ne va pas sortir. Kessia lui dit donc qu’elle veut voir son frère Jego. Dans la cour, on ne parle que de ce concours. Kessia apprend alors que les tout petits vont faire celui de la récitation et la poésie. Donc Jego va se trouver dans le lot. « Mon petit frère, il peut sortir vainqueur, » se dit-elle. Elle sait que Jego travaille beaucoup. Après l’école, et le dîner, le gamin s’attache aux livres. Parfois, il part chez Pamito. Et celui-ci lui a appris beaucoup de choses. Maintenant, Jego est même devenu son jeune disciple.

Après avoir échangé quelques mots avec Jego, Kessia vient s’arrêter sous un manguier. Il respire un peu d’air. Elle regarde les élèves, tous affairés. Elle ne se mêle de rien. Elle s’amuse à regarder une fillette et un petit garçon se partager le même déjeuner. Alors, elle se souvient du moment où elle partageait le sien avec Pamito, tous petits.

Mais bientôt, son sourire s’efface sur ses lèvres. Son air se crispe, lorsqu’elle aperçoit un groupe de filles se diriger vers elle. C’est la bande d’Oumu qui la harcèle, lui cherche la bagarre, sans répit. Parce qu’elle est jalouse de Kessia. La seule à pouvoir retenir toute l’attention du jeune Pamito.

   « Tiens ! Tiens ! Je parie que la protégée de Pam va se présenter comme candidate ! » commence Oumu, escortée par ses quatre camarades.

Adossée contre le manguier, les bras croisés, Kessia ne souffle mot, comme d’habitude quand Oumu et ses acolytes lui cherchent noise.

   « Mais non, Oumu. Moi je préfère qu’elle ne se présente pas. Il ne faudrait pas qu’elle ridiculise notre classe, s’indigne Fatine.

  • Pas du tout, Fati, proteste Fanta. Ça m’amuserait bien de la voir coincée par un petit mot. »

Kessia s’abstient de toute réplique, tentant d’ignorer leurs provocations. Elle secoue sa tête comme quelqu’un qui prévient ses agresseurs de la furie qui monte en lui. Comme une coulée de larve.

  « Eh bien, Kessi, tu deviens de plus en plus étrange. En plus d’être un garçon manqué, tu deviens muette maintenant ? » insiste pourtant Oumu.

Toute la bande ricane. Et cette raillerie attire l’attention de Pamito. Il vient s’arrêter à la fenêtre pour savoir où se déroule cette scène dans la cour. C’est alors qu’il voit Kessia ameutée d’Oumu et ses compagnes.

    « Mademoiselle a quelque chose de garçon manqué qui charme tant ce pauvre Pamito ! ironise Oumu, après avoir regardé la jeune fille des cheveux aux orteils. 

  • Eh bien, c’est une sacrée chance, hein ! déclare Fanta, narquoise. Même si je n’en veux pas.
  • Alors, tu ne dis rien, Kessi ? » lui demande Oumu.

Cette fois-ci, Kessia ne résiste pas. Elle n’en peut plus. On dirait qu’elle n’attendait que cette interrogation. « Elles se prennent pour qui, celles-là ? » Il est temps de les remettre à leur place. De régler leur compte. En plus, leur montrer que le silence n’est pas synonyme de la peur, ou faiblesse.

« On parle mieux aussi quand on se cloue le bec, répond Kessia, les bras suspendus, formant des poings. Vous feriez mieux donc de les coudre, vos becs, avant que je le fasse moi-même. Parce que, croyez-moi, je ne vous laisserai plus me traiter comme vous voulez, bande d’idiotes et jalouses, » ajoute-t-elle froidement avant d’esquisser un pas pour s’en aller.

Oumu et ses camarades se mettent alors en son travers.

« Attends un peu…, grogne Oumu, serrant les poings, tremblant de colère. Est-ce à nous que tu t’es adressée comme ça ?

  • Et tu poses la question, Oumu ! la nargue Kessia, décidée de se battre. Maintenant, fichez-moi le camp. »

Presque excédées de colère, Oumu et ses copines se regardent. En un clin d’œil, elles entourent la jeune fille, bien déterminées à écoper des punitions après. Parce qu’il faut qu’elles réagissent à cet affront. Alors qu’elles s’apprêtent à braver Kessia, Pamito surgit de nulle part. Il s’interpose entre elles.

« Retire-toi, Pamito ! lance Oumu, furieuse.

  • Il est hors de question ! » proteste le garçon.
  1. Jano arrive, averti par le jeune Pamito. Parce que quand il a vu cette scène, devinant qu’elle va mal se terminer, il est parti informer leur maître. Le jeune garçon l’a trouvé en train d’examiner la fiche qui contient les deux cents mots. M. Jano a dit d’accord, mais qu’il devrait d’abord finir ce qu’il a commencé. Il ne lui restait qu’un peu. Pamito a hoché la tête, puis il est venu trouver les filles, prêtes à se chahuter.

Quand Oumu et sa bande voient le maître venir, elles font mine de sourire, de taquiner Kessia et Pamito.

    « Je peux savoir ce qui se passe ? s’enquiert M. Jano.

  • Rien… rien monsieur… on joue, balbutie Oumu, embarrassée.
  • Vraiment ? Oumu, si vous ne pouvez pas accepter Kessia parmi vous, laissez-la tranquille. Je vous préviens que la prochaine fois que vous allez l’embêter, je vous ferai nettoyer toutes les toilettes de l’école, » conclut-il avant de les quitter sans demander plus d’explications.

Comme convenu, après les cours, M. Jano retient ses écoliers pour choisir les candidats qui doivent représenter leur classe au concours.

  « Bon. Qui sont partants ? commence-t-il, une fois le bruit évanoui dans la cour. Je vous préviens que personne n’est obligé, mais il nous faut quand même dix candidats. Le prix, c’est pour le vainqueur. Quant à l’honneur, ce sera pour toute la classe ! »

Quelques doigts fusent en l’air. Pamito, Oumu, Fatine, Melan, Aisha, Eva… mais pas plus de dix. Quoique M. Jano réitère qu’il veut cinq garçons, et cinq filles, il en manque encore trois. Pamito regarde malicieusement son amie du coin de l’œil, mais ne bronche pas. C’est une question de choix. Et le choix, c’est sacré.

  « Bon, allons ! Eva, Aisha, Fatine, Oumu et…, s’interrompt M. Jano un instant, se redressant pour mieux dévisager ses écolières. Kessia, tu complètes les filles…

  • Mais Monsieur, je…, proteste la jeune fille.
  • Inutile de contester, Kessia, c’est décidé ! »

Même si elle n’en a aucune envie, Kessia n’insiste pas. Ce qui était décidé, était décidé. Et elle le sait bien. Puisqu’elle ne trouve aucune autre issue que d’accepter, elle s’y résigne. « D’ailleurs, je suis bien contente. Je vais prouver à ces idiotes de quoi je suis capable, » pense-t-elle. Bientôt, elle s’imagine tenue sur l’estrade, trophée en mains, applaudie, acclamée, ovationnée. Gagnante, triomphante, vainqueur du concours. Cette idée dessine un sourire sur ses lèvres. Tout son visage s’illumine.

  1. Jano retient les dix candidats et libère les autres qui ne sont pas concernés. Il explique aux enfants comment maîtriser l’orthographe des mots. Il leur donne quelques consignes, les prévient aussi que chaque jour, après les cours, ils doivent travailler ensemble. Pendant quelques temps.
  2. Jano leur distribue alors une fiche contenant les deux cents mots. Puis les laisse disposer. En cours de route, Kessia et Pamito ne désirent qu’une seule chose : le prix. Ils marchent dans le silence. Ils savent qu’ils vont peut-être se croiser. Ce concours va-t-il vraiment les opposer, d’ailleurs ? Pamito rejoint chez lui, désirant rafler le prix et prouver qu’il est le plus fort. Quant à Kessia, elle regagne chez elle, aspirant à surprendre ses rivales et tous ceux qui sous-estiment sa capacité à réussir. Elle prime l’honneur. Même si elle ne sait pas encore comment s’y prendre.