Kessia – chapitre 6 – La lettre des mots

Kessia – chapitre 6 – La lettre des mots

Chers écoliers, je ne vais aucunement accuser l’erreur comme votre nature le fait. Je vais être franc. Vous êtes nuls, c’est tout. Nous savons que tout n’est pas « erreur », même si vos actes en sont bourrés. Et que vous en faites un prétexte pour dissimuler vos lacunes ou votre ignorance. Ou encore, vous accusez l’oubli. En est-il aussi de votre nature, comme l’erreur ?

Drôles d’écoliers, j’avoue que je manque aussi de bonnes manières. Je vous prie donc de m’excuser, car je devais d’abord me présenter. Mais voyez-vous, celui qui est outré manque de courtoisie. Je suis Mot, je m’exprime au nom de tous mes camarades mots dans cette lettre que je vous adresse.

Je voudrais bien vous faire comprendre que nous, les mots, nous souffrons des maux que vous nous causez sans cesse, sans trêve. Par exemple, quand vous nous écrivez ou vous nous articulez mal. Vous ignorez à quel point ça nous blesse, nous démange. Et parfois, il arrive que, quand vous nous prononcez, nous ayons du mal à nous reconnaître. Et cela nous agace ! Aimeriez-vous qu’on triture aussi vos noms, au point que vous ne le reconnaissiez plus ? Non, certainement.

Avez-vous remarqué parfois, quand vous nous cherchez ou tentez de nous articuler, vous n’y arrivez guère ? Eh bien, justement ! Nous vous fuyons, puis nous cachons, car nous craignons d’être mal prononcés, et blessés. Nous refusons obstinément de sortir de votre gorge. Nous sortons le plus souvent que quand intervient l’un des plus scrupuleux parmi vous, celui qui nous considère.

Parfois, nous nous sentons confus. Quand vous nous employez là où nous n’avons aucun sens. Ou encore, quand par votre ignorance, vous nous confondez.

Nous nous sentons brisés, comme vous et votre nature, quand vous vous brisez les cœurs. Lorsque vous nous articulez d’une manière désagréable, vénéneuse, venimeuse, malveillante que sais-je encore. Vous nous étranglez, matez, triturez dans votre gorge à tel point que nous en sortons falsifiés, tripotés, dénaturés, méconnus. Il faut que cela cesse. Si vous ne pouvez pas être rigoureux, si vous êtes incapables de nous bien prononcer, de nous écrire, sans nous blesser, sans nous tordre, sans nous amputer, vous êtes priés de fournir des efforts ou de renoncer à notre utilisation. Cela vaudrait mieux pour nous tous. Parce que nous en avons marre de tout ce que vous nous faites subir.

Le plus marrant ou triste, c’est que vous ne nous maîtrisez pas bien, mais vous adorez nous abréger. D’ailleurs, réalisez-vous que quand vous le faites, vous nous amputez ? Vous ne prenez jamais soin ni le temps de nous bien écrire. Et lorsque vous finissez, vous ne vérifiez jamais si vous n’avez pas oublié un de nos membres ou amis. Mais qu’est-ce que vous êtes paresseux et insupportables !

Vous êtes si paresseux que vous ne vous souciez même pas des accents que nous portons quand il faut. Sachez-le bien, comme vous évitez la pluie en utilisant le parapluie, nous portons aussi les accents pour échapper à la confusion, la sanction. Mais à cause de votre négligence et votre ignorance, nous sommes sévis, barrés, maculés de taches rouges. Lors des corrections. Qu’avons-nous fait pour mériter toute cette torture ?

Vous et votre nature, vous nous utilisez tellement que nous nous retrouvons parfois moins convaincants, vides de sens, de force, de rassurance, de vigueur, de vivacité, d’intensité. Pourquoi ça ne devait arriver qu’à nous ?

Ah ! Comme nous aimerions bien la manière dont votre nature exprime ses sentiments, quand elle est contente, amoureuse, romantique, aimée etc. Lorsqu’elle rêve comme les poètes, parle comme les galants, chante comme un rossignol ! Nous résonnons si jolis, si adorables, si mignons, si suaves ! Mais dommage, on ne peut compter sur vous autres, car vous êtes nuls et décevants, drôles d’écoliers !

Dans l’espoir que vous fassiez mieux et d’effort, recevez nos salutations les plus désagréables et décevantes, bande d’incapables.