Kessia – chapitre 2 – le malentendu

Kessia – chapitre 2

                                       Le malentendu

Kessia ne s’engage pas sur le chemin qu’empruntent presque tous les écoliers. Elle prend plutôt un autre. Celui-là qui est rarement pratiqué.  Longé d’arbres et de mauvaises herbes. Mais arrivée à un endroit, elle s’arrête soudain. Regarde autour d’elle. Personne. Alors, elle se fraye son chemin à sa droite. « C’est important, car il faut que personne ne me surprenne à chaque fois que je me rends ici, se justifie-t-elle. On pourrait m’espionner …»

Elle écarte les herbes, les branches des arbres, esquive d’autres avant d’atteindre sa destination. Dans la forêt. Un endroit dégagé, bien soigneux. Elle l’a aménagé toute seule durant les vacances. C’est bien ici qu’elle passe son temps après l’école. Pendant que beaucoup d’écoliers menacent de partir en ville, elle, Kessia, s’en moque. Elle n’y est jamais allée, et n’en rêve pas non plus. « Je ne pourrais jamais bien m’amuser dans la ville comme ici ! » suppose-t-elle souvent.

Kessia s’arrête, glisse un regard un peu partout pour inspecter l’endroit. Non, il ne faut pas qu’elle découvre le passage d’un curieux sur son territoire. Heureusement, rien. Tout est bien en place. Aucune trace suspecte. Elle se dirige vers l’arbre, dénoue la corde qu’elle tient sans relâcher. Alors, une cage suspendue se met à descendre doucement.

« Maintenant, sors, sinon je vais être en retard, dit calmement Kessia après avoir ouvert l’entrée de la cage, une fois atterrie. Je t’ai apporté à manger. »

L’animal, reconnaissant la voix de sa maîtresse, sort alors de son abri. Kessia s’accroupit, le tient dans ses bras. Elle commence à lui caresser les poils.

     « Je t’adore mon tout adorable lapin ! »

C’était un jour quand le hasard l’a conduite par là. Elle est tombée sur cet animal blessé. Elle s’est démerdée à lui faire un petit abri. Elle a réussi à le soigner et l’apprivoiser. Elle n’en a parlé à personne. Quand elle a goûté au bonheur de s’amuser avec un animal, l’école a commencé à devenir un endroit ennuyeux pour elle…

Kessia repose son lapin à terre. Pendant qu’elle cherche le pain qu’elle a apporté pour lui, l’animal esquisse quelques pas. Bientôt, il commence à brouter les petites herbes.

      « Mais non, je t’ai apporté du pain ! » faillit s’énerver Kessia.

Elle lui a interdit de brouter l’herbe. Que les herbes, ce n’est pas fait pour lui, comme d’autres animaux. Elle s’accroupit pour saisir l’animal.

« Voyons, cela fait cent ans que je te défends de brouter les herbes ! le sermonne-t-elle un peu. Ça risque de te rendre malade. Ce n’est pas parce que j’avais réussi à te soigner la dernière fois que je suis une vétérinaire. Et puis, ça m’a coûté toute mon économie… »

Elle le fait entrer dans son abri, coupe le pain en  plusieurs morceaux qu’elle répand dans la cage de l’animal. Elle referme l’entrée. Elle se relève puis promène son regard vers la mer. C’est alors que son regard croise le soleil qui parcourt son chemin d’un pas nonchalant au-dessus de la mer.

« Oh, non, il va bientôt être l’heure ! remarque Kessia. Il faut que je file à l’école, si je ne veux pas que ma maitresse me batte. Et quant à toi, mon petit lapin, tu dois être prudent et méfiant ! »

Kessia s’avance de nouveau vers l’arbre, tire la corde vers le bas pour que la cage remonte. Cela fait, elle attache la corde à un jeune arbre, puis s’éclipse.

Avant de regagner le chemin menant vers l’école, elle s’assure d’abord que personne n’y est, pour se lancer. Pourtant, elle sait que c’est un chemin peu fréquenté. « Mais il faut toujours être prudent, » raisonne-t-elle.

Kessia arrive à l’école avec un air contrarié. Quand elle était pressée de quitter la maison, ce n’était pas l’école qui l’excitait. Non, elle voulait d’abord visiter son animal qu’elle garde discrètement. Un animal qu’elle doit nourrir tous les jours, matin et soir.

Elle pénètre dans la cour, et découvre une agitation désordonnée partout. Elle glisse un regard dans tous les sens, aperçoit des groupes d’élèves réunis çà et là, sous le pommier, les manguiers. La majorité est ceux qui viennent de passer leurs vacances en ville. Tout le monde semble content de se retrouver à l’école qui les unit, les rassemble et les fait ressembler, les uns aux autres.

« Tous des abrutis ! grogne Kessia, avec mépris. Je ne sais pas pourquoi ils sont toujours contents de l’ouverture des classes. »

Bientôt, elle découvre ses camarades de classe. Mais elle poursuit son chemin, faisant mine de ne pas les voir. Elle marche lentement dans l’espoir que ceux-ci l’aperçoivent et l’interpellent pour solliciter ses histoires comme presque à chaque ouverture des classes. Pourtant, quoiqu’un élève crie son nom avec enthousiasme, et qu’elle soit bien connue grâce aux histoires intéressantes qu’elle possède, ses camarades ne lui accordent qu’un bref regard avant de l’ignorer complètement.

La jeune fille s’arrête un instant. Elle les regarde écouter ceux qui racontent ce qu’ils ont fait en ville pendant les vacances. En ont-ils marre d’écouter les mêmes histoires honteuses sans queues ni têtes de Kessia, comme le prétendent ses rivaux ? Kessia constate que les plus intéressés sont ceux qui n’ont jamais été en ville. Même pas une fois. Mais qui désirent ardemment connaitre ce lieu magique.

Kessia se renfrogne à l’idée de les rejoindre. Elle trouve ridicule de se réduire en un simple spectateur ou auditeur. Elle adore qu’elle soit le centre de l’attention de ses camarades quand elle raconte ses histoires. « La vie, c’est comme la marée. Elle n’est jamais stable ! » se résigne la jeune fille, accablée. Elle serre les poings à cause de cette inattention qu’elle subit là et dont elle est victime. Elle qui était, chaque ouverture des classes, entourée, escortée et même enviée par certains de ses camarades… Et la voilà, par un coup de hasard, devenue impopulaire, inconnue et presque jetée dans les oubliettes…

« Et maudite soit la célébrité éphémère ! » croasse-t-elle presque, acceptant de surmonter l’épreuve absurde à laquelle la vie la soumet.

Elle rejoint leur nouvelle salle plus tôt que prévu, gardant ainsi toutes ses aventures pour elle. « Si quelqu’un veut maintenant écouter mes histoires, il faudra qu’il remplisse une certaine condition, » décide-t-elle en secouant la tête.

Après avoir essuyé le banc, Kessia s’aperçoit de la présence d’un écolier au seuil de la rentrée. Mais elle n’en croit pas ses yeux. Donc lui aussi était parmi ces abrutis qui l’ont ignorée, lui ont tourné le dos ? Elle n’arrive pas y croire. Non, tout sauf lui. Elle décide de fixer le tableau, une fois assise. L’écolier se dirige vers elle d’un air pas content.

« Bonjour, Kessi ! dit-il.

  • Bonjour, Pam ! répond Kessia, brièvement.
  • Donc c’est comme ça, maintenant ?
  • Quoi exactement ?
  • Non, tu ne sais pas ? insiste le garçon, étonné.
  • Non, je ne sais rien, réplique la jeune fille. Je n’ai pas envie de discuter ce matin. Va donc les rejoindre, là où tu étais.
  • Mais qu’est-ce que tu racontes là, Kessi ?
  • Ne fais pas semblant, bon sang ! explose la jeune fille. Tu étais avec eux, et tu as même choisi, comme eux, de m’ignorer. Alors, depuis quand Pam… balbutie-t-elle d’une voix enrouée de déception après s’être levée du banc. Depuis quand cette hypocrisie ?
  • Mais Kessi…, tente Pamito de savoir ce qui se passe.
  • Non, je ne veux rien attendre, » le réprime-t-elle en s’éloignant de lui.

Pamito essaie de la retenir en vain. Kessia lui crie de ne pas la toucher. Alors le garçon se ressaisit, cherchant à savoir en quoi il est fautif. Il en reste étonné. Ne voulant pas se ridiculiser, une fois cet incident répandu, il compte sur la récréation pour retenter sa chance.