L’Île de la MAGIE – Chapitre 6 – La loi de l’effort

Chapitre 6 – La loi de l’effort

Sur le sable se traîne un petit crabe avec une allure autoritaire laissant derrière lui ses traces ; or, il ne mérite même pas un seul coup de pied pour l’écraser ou l’enfoncer dans le sable. Il y a mieux à faire que de marcher avec autorité. Peut-être est-ce le chef de bande de petits crabes ? Il ferait mieux de ne pas croiser le chemin des gamins au risque de se voir écrasé. Pour un animal pareil, il ne faut même pas essayer de les affronter, il faut se cacher.

Les enfants se retrouvent rassemblés sous le grand arbre et sont prêts à fureter les grottes indiquées sur la carte de l’Ile. Comme ils ont attendu vainement le retour de Siata, les enfants décident alors de prendre leur destin en main. La bande sera dirigée maintenant par le plus téméraire, audacieux, intrépide, il s’agit de Mano !

« N’ayez aucune crainte, nous triompherons. » Les rassure le chef de la bande.

« A nous la victoire ! Le triomphe ! » Crient les autres en chœur, agitant les mains fermées en coups de poing en l’air.

Comme possédant la magie, Mano accourt auprès de la mer puis fait apparaître un petit récipient. Il descend dans l’eau si claire qu’elle parait buvable et l’y remplit, puis rejoint ses amis. Ceux-ci paraissent étonnés, se demandant quelle idée agite leur chef et pourvu qu’elle soit géniale.

Le chef de la bande dépose son récipient rempli d’eau claire et curieusement, ses amis s’approchent de lui.

« Qu’est-ce que c’est ? » S’enquiert chacun d’eux, jetant des coups d’œil dans le petit récipient.

« Accroupissez-vous, nous allons demander à l’eau. » Leur ordonne le chef.

Ses amis, sans poser de question, ni s’obstiner, obéissent, s’accroupissant autour du récipient ; puis Mano tend ses mains au-dessus du seau et murmure :

« Kira ma sén mukhu bè (1) ! » Ordonne-t-il à l’eau.

Après avoir prononcé cette phrase, une lumière blanche jaillit de ses paumes et recouvre la surface de l’eau. Après quelques petites secondes de jaillissement, il enlève ses mains et aussitôt apparaît le chemin qui conduit jusque dans la première grotte. Sur cette route sont aussi visibles deux pièges, l’un très loin de l’autre, situés avant d’atteindre la grotte.

« Dani, va m’apporter la carte de l’île et le stylo, ils se trouvent dans la poche arrière du sac. » ordonne Mano, pressé.

Dani obéit. Il court ouvrir machinalement la poche arrière du sac puis tire la carte de l’île et le stylo. Il ferme et remet le sac à sa place puis accourt auprès de ses amis.

« Tiens les voici ! » Fait Dani en les lui tendant.

« Parfait ! Nous devons cocher ces deux endroits piégés » Dit le chef en saisissant ce que lui tend son neveu.

Il retrouve les deux lieux sur la carte puis les marque. Ils continuent  alors à regarder le chemin qu’ils doivent emprunter pour s’y rendre. La grande grotte apparait, et avec, un énorme dinosaure planté qui occupe le seuil de la gigantesque et unique entrée-sortie, en train de bâiller, ses grosses dents apparaissant dans son affreuse gueule prête à consommer des cinquantaines de tranches de chairs. Quel horrible monstre ! Les enfants se glissent un regard un peu affolé. Pas trop de panique, seuls les yeux sont écarquillés. Derrière cet affreux animal se trouve suspendue une clé. Que fait cette clé dans la grotte du Dino ? Elle est beaucoup trop visible. Ne pourrait-elle pas leur servir ? Il doit y avoir une bonne raison pour qu’elle soit là. Au-dessous d’elle se trouve un petit coffret à terre. Que peut-il se trouver dans ce coffret ?

Comme il n’y a pas d’autre chose que ces trois indices, Mano tend à nouveau sa main puis murmure la parole magique et, dans les quelques secondes qui suivent, apparaît l’autre grotte, le chef retire ses mains. Et voilà ce que voient les enfants : un gigantesque dragon planté lui aussi au seuil d’une énorme et unique porte que ne pourraient franchir ni l’aiguille, ni le vent. Terrifiés, Dani et Nafi se tiennent debout, marchant à reculons, et les deux autres relèvent leurs têtes, tout aussi affolés, mais sans bouger, ils regardent les deux enfants hyper traumatisés.

« Quoi ? » S’étonne le chef, s’adressant à son neveu et sa compagne.

Les deux peureux se regardent puis reviennent s’accroupir à leurs places. Sur le chemin qui mène à cette deuxième grotte, il n’y a aucun piège. Pourquoi donc ? Peut-être que ce dragon est capable de se défendre en volant et crachant le feu comme l’eau, et n’a donc pas besoin de pièges pour ravir des téméraires. Aucun autre animal n’ose fureter près de cette grotte, ceux qui ont essayé n’ont laissé que leurs os entassés les uns sur les autres.

Derrière ce grand monstre horrifiant se trouvent, cette fois-ci, deux clés bleues suspendues l’une près de l’autre et sous lesquelles se trouvent, posés à terre, deux coffrets. C’est bien trop étrange ! Et voilà ce qui est le véritable obstacle ! Et rien plus que ceux-là ! Mais à quoi serviront-elles ces clés ? Ne sont-elles pas, peut-être, celles qui pourront déverrouiller les portes de la GRANDE ETOILE ? Mais ce n’est pas là le problème, c’est comment s’emparer de ces clés sans laisser ses os au dragon comme ces pauvres animaux téméraires. Ce qui est aussi bien trop étrange, c’est que les enfants n’ont pas encore croisés un seul animal sauvage bien ordinaire depuis leur arrivée sur cet îlot. On pourrait imaginer qu’on aura une petite chance de ne voir que leurs os chez ce dragon.

Ce grand animal, insatiable  et terrifiant! Les enfants ne seraient-ils pas pour lui, peut-être, qu’une demi-proie, ils ne sauraient assouvir son avidité. Une solution, il y en faudra pour triompher…

Après avoir observé ces affreux animaux qui les inquiètent, les enfants sentent leur courage s’affaiblir à petit feu. S’emparer des trois clés que gardent ces deux monstres qui n’ont aucune pitié, demeure leur véritable obstacle. Ils sont tous les quatre affolés, le désespoir se lit sur leurs visages ; chacun craint ces grands obstacles qui ont surgi. Une idée confuse les anime : sont-ils vraiment contraints de prendre un grand risque ? Ne sont-ils pas indépendants d’eux-mêmes, libres de rentrer chez eux ? Le chef qui est le plus vaillant et le plus audacieux de la bande est aussi terrifié que désespéré, il se sent vidé de son courage, de son ombre intrépide ; pourtant c’est lui qui doit guider sa bande morte d’horreur. Il faut se décider, soit braver le danger comme un héros ou, rentrer chez eux comme des lâches. Mais être lâche n’est pas digne d’un chef, ni d’un héros. Il faut bien y réfléchir…

Les autres errent de gauche et à droite relaxant les mains tels des guerriers pressentant une mort certaine. Mano contemple sa bande et la trouve très mélancolique. Il reste un instant à contempler le récipient et son contenu, l’eau, et puis serrant son cœur, déclare :

« Je n’ai pas besoin d’eux. Moi, je n’ai nulle peur… »

Les autres arrêtent aussitôt leur agitation, puis fixent leur chef assis près de son récipient, ses jambes formant deux triangles. << Ah ! Si Siata était là … >> Pense-t-il. Mais possédé par une petite lueur d’espoir, il se relève machinalement et glisse un regard autour de lui, observant ses amis plantés comme des statues et beaucoup plus abasourdis que lui. Aucun d’eux ne fait un mouvement. Le chef se maîtrise et, sans que la voix ne tremble, il se met à chanter très fort comme un guerrier à chaque fois que son espoir s’intensifie :

«  Allons les amis

 Des amis aux cœurs de vaillants

 Au milieu des dangers

 Rien ne peut nous intimider

 Avec tant de hardiesse

 Nous serons redoutables

 Avec tant de confiance

 Nous vaincrons

 Allons les amis

 Il n’y a pas de débiles

 Il n’y a que des invincibles

 Cinq pas en avant

 Sans reculons ni crainte

 Nous triompherons

Oui, nous triompherons ! » Répète-t-il tout doucement.

Pendant ce temps, ses compagnons se sont regardés un à un, de plus en plus étonnés. Dani qui trouve cela drôle a saisi sa bouche de ses deux mains pour ne pas éclater de rire ; une autre a la bouche mi- ouverte trouvant cette idée comme une folie ; une dernière a les yeux écarquillés semblant beaucoup plus perplexe. Dans ce cas, c’est comme allé dans la gueule du loup ! Mano lit attentivement tous les trois visages qui le dévisagent : deux sont stupéfaits et un autre persifleur. Et tout d’un coup, par l’attitude de son neveu, il se trouve ridicule et drôle ! Il ne faut surtout pas rire de peur et que les autres prennent les choses à la légère ! D’ailleurs ce n’est pas digne d’un chef de gamins de se trouver ridicule.

« Quoi donc ? » Fait-il, surpris de l’attitude de ses compagnons. « Vous n’êtes pas avec moi ? » Finit-il par leur demander.

Aucun d’entre eux ne souffle un seul mot, mais Dani qui est hanté d’une idée poltronne ne tarde pas de désapprouver :

« Je ne veux pas mourir gamin. » Déclare-t-il.

« Moi aussi ! » Enchaîne Nafi.

Sa présence insensible, Nis aboie comme pour déclarer : << moi aussi ! >>, Mano le rejoint aussitôt, le prenant dans ses mains et marmonne :

« Non, Nis ! Tu ne feras jamais partie de la bande de débiles, je ne saurais accepter que cela arrive. » – Puis il fait face à Emma qui réfléchit. – « Décide-toi, Emma ! »

Celle-ci ne trouvant pas quoi dire à cet instant, réfléchit encore une seconde fois puis elle déclare ouvertement :

« Nous devons réfléchir à ce que nous allons faire. »

« Bon ! » fait Mano, « je vous laisse réfléchir, moi, ma décision est déjà prise, je vais braver… »

« Il nous faut un bon plan. » Annonce Dani en approuvant l’idée d’Emma.

Mano le fixe et aussitôt son neveu secoue la tête suivi de Nafi enfin Emma. << Ah ! Si Siata était là… >> pense-t-il de nouveau.

La nuit est tombée. Le chef de la bande a passé toute sa journée à chercher vainement un plan génial, il ne cesse d’évoquer le nom de Siata, leur compagne, qui lui a laissé une grande responsabilité.

Ils font un feu puis s’asseyent autour. Leurs yeux resplendissant de l’éclat du feu mais les visages peints de tristesse et d’angoisse. Leurs yeux fixent le feu qui crache des flammes. Tout est calme, mais les esprits ne sont pas tranquilles ! Des tas de questions ! Pourquoi braver un tel risque, une mort certaine ? Est-ce pour la gloire ? Et si, par malheur, on meurt dans ce risque, que nous servira cette gloire pendant que nous serons dans nos sépultures ? De bonnes questions ! Mais après quoi, la loi de l’effort, oui, elle-même contraint qu’il n’y ait pas un début à la moitié, mais qu’il y ait un début à la fin, donc quand on commence quelque chose, la loi de l’effort oblige d’aller jusqu’au bout même s’il faut donner ou sacrifier sa vie. Pour une gloire qui ne servira l’auteur que pendant son existence et le reste pour les autres.

Tout repose sur les épaules du chef, c’est à lui, maintenant, de trouver une superbe idée et savoir comment conduire sa bande à moitié peureuse, et en plus, trouver un plan magnifique qui pourra épargner la vie de ses compagnons. Mano est assis, les jambes croisées, une foule d’idée parcourt sa jeune tête de chef.

Entourant le feu, quatre visages humains et un visage animal sont illuminés de son éclat. Nis étendu près du chef, Mano, enfonce son regard dans le feu. L’obscurité avale toute la partie de l’île, hormis l’endroit où sont réunis les gamins. Après avoir parcouru son esprit dans l’univers des meilleurs plans, le chef de la bande n’a toujours pas trouvé le plan adéquat à leur problème. Sans renoncer, il se concentre et continue sa recherche jusqu’à ce qu’il trouve enfin celui où seule sa vie serait en jeu. Est-ce que ses compagnons, surtout Dani, approuveront ce plan ? Mieux vaut tenter le coup et voir leurs réactions. Il leur expose ce plan.

« Quoi ? Tu es devenu fou. » S’empresse de réprimer Dani. « Tu ne sais pas que ta vie est en danger ? D’ailleurs rien ne nous y oblige tout de même ! Pourquoi faut-il risquer ta vie ? »

« Tout cela m’est égal. » Réplique Mano même si une boule lui monte à la gorge. « Vous êtes plus que des amis pour moi et je ne saurais accepter que quelqu’un d’entre vous prenne un tel risque si ce n’est moi… »

« Moi, je ne suis pas d’accord… je désapprouve. » S’obstine Dani.

« Que veux-tu que nous fassions alors ? »

« Que nous rentrions à la maison. » Répond le neveu.

« Là, il n’en est pas question. Tu peux rentrer si tu veux, mais moi, jamais ! » S’oppose l’oncle.

Ce n’est pas facile, pas vraiment si facile pour Dani de laisser son oncle, pour qui il éprouve tant d’amour, braver une mort certaine. Ah, toi gloire ! Toi qui pousse les gens à risquer leur vie à cause toi, ainsi tu incites mon oncle ! Mais si par malheur – je n’ose l’imaginer – je perds mon bien-aimé oncle à cause de toi, je te haïrai pour tout le reste de ma vie, car je ne saurais être malheureux et attristé perpétuellement. Je ne suis pas prêt à le perdre, il est mon meilleur ami, ma joie, en tout cas tout ce qui m’est cher ! Tout ce que je demande, c’est d’épargner sa vie… ne cesse de penser Dani, tête baissée.

Comme ils sont tous rassemblés autour du feu, les uns près des autres et que le silence permet aux diverses pensées de visiter cette bande, Mano s’approche de son neveu dans l’espoir de le consoler et le réconforter. Il lui pose la main sur l’épaule en s’accroupissant, mais Dani reste indifférent. Mano regarde aussitôt leurs nouvelles compagnes dont les larmes mouillent les yeux et jaillissent tout doucement en glissant sur les pommettes. On peut se demander pourquoi elles aussi pleurent. Oui, elles ont du chagrin car elles n’ont ni moyen ni plan pour sauver leur compagnon de cet étrange risque. Elles s’en veulent de ne pouvoir rien faire pour lui qui les a délivrées. Pourtant, elles lui ont promis la vie sauve, mais maintenant comment tenir leur promesse ? Doivent-elles se sacrifier pour lui ? Tout reste à voir…

Mano fixe son neveu dont le regard fixe la terre et de ses yeux suintent des gouttes de larmes qui s’écrasent sur sa jambe trempée par le premier suintement.

« Approchez-vous. » Ordonne Mano aux filles en leur faisant face à nouveau.

Celles-ci s’approchent. Ils se serrent les uns contre les autres ; l’émotion est à son comble, laissant résonner de petits sanglots irréguliers.

« Vous n’avez rien à craindre et comprenez ceci : Celui qui donne ne perd rien. En plus vous devez savoir qu’il n’y a pas plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis… » Argumente Mano.

« Ne parle… pas… comme… Jésus. » Balbutie Dani.

Les deux filles ont davantage leurs cœurs serrés par l’émotion que des sanglots. Elles n’ont rien articulé depuis que leur chef leur a divulgué son sinistre plan. Leurs esprits sont brouillés, car elles n’oublient pas qu’elles doivent la vie sauve à leurs compagnons. Qu’ont-elles trouvé après avoir longtemps réfléchi ? Lutter. Oui, lutter ensemble jusqu’au bout, au dernier soupir, rien que ça ! Peut-être que cela pourrait épargner la vie de leur chef. Donc il est temps de se décider ou à jamais se taire.

Une voix frémissante se glisse tout doucement sur la langue d’une d’entre elles.

« Tu n’auras rien à craindre non plus car nous nous battrons corps et âmes pour laisser ta vie sauve. » Le rassure cette voix.

Mano parvient à déchiffrer cet accent féminin, il est celui d’Emma qui a articulé avec beaucoup d’énergie malgré qu’elle sente monter à la gorge une boule. Une autre voix engagée qu’il reconnait aussitôt rejoint celle d’Emma. Cette voix est celle de Nafi.

« Je suis partante, nous nous battrons jusqu’au dernier soupir… » Dit-elle, décidée et remplie de courage.

Quant à Dani, il ne souffle aucun son, ni même un sanglot, gardant sa tête baissée. Peut-être ses pensées se trouvent-elles au bout d’un autre monde, un monde sinistre… Il n’est pas prêt à se décider à cet instant. Cherche-t-il un bon moment ou continue-t-il à désapprouver l’idée de son oncle ? Quand l’amour fraternel nous tient et nous lie…

« Maintenant nous devons nous coucher, nous n’aurons qu’à passer à l’épreuve. » conclut Mano.

Ils se relâchent. Les deux filles se relèvent puis partent tirer deux draps des bagages de leurs compagnons, elles s’étendent sur un puis se recouvrent de l’autre, couchée l’une près de l’autre. Quant à Mano, il n’a pas bougé, et est resté assis en regardant la flamme se soulever. Les bois se consument de moins en moins. Sa pensée exécute précocement son rôle mais avec trop de risque et de peine, surtout avec ce dragon monstre. Ne vaut-il pas mieux mourir glorieux que mourir lâche ? La loi de l’effort ne cesse de s’imposer à son esprit : il n’y a pas de début à la moitié mais un début de la fin. Un tel obstacle ne serait capable de les empêcher, les intercepter et dénigrer leur effort, il faut aller jusqu’au bout du paroxysme. Besoin seulement de courage, de confiance et d’optimisme ; quoi que soit l’obstacle, il faut le braver. Le chef de la bande s’abandonne dans ses pensées.

Dani ne dort toujours pas, il n’est pas vraiment tranquille et ne cesse de regarder la silhouette de son oncle et parfois pense au dinosaure puis au dragon et combien ces animaux sont terrifiants et peuvent être cruels. Il cherche vainement encore le sommeil, s’agitant incessamment dans son drap, cherchant plusieurs solutions sans pourtant y parvenir… Il contemple son oncle dont le visage exprime un sinistre étrange, la peur s’empare de lui et il devient craintif, si craintif de perdre son oncle ; c’est son meilleur ami et son seul bonheur. Si c’est Dani qui dirige cette bande, ils ne braveront rien de si dangereux, mais c’est son oncle qui la dirige, et la loi de l’effort oblige ce dernier à ne rien lâcher. Leur devoir est d’obéir. << Ah ! Si c’est moi qui commande…>> ne cesse de penser le gamin. Il jette un coup d’œil à leurs compagnes en plein sommeil, ensuite fixe la flamme qui monte en zigzag. Ne parvenant plus à s’endormir, Dani part auprès de son oncle qui est surpris de son insomnie.

« Tu ne dors toujours pas ? » lui lance Mano.

« Non, je suis pris par l’insomnie et l’angoisse » répond son neveu d’une voix frémissante mais qui ne tremble pas.

« Qu’est-ce qui se passe ? »

« Je n’en sais rien… »

Mano n’insiste pas car il sait déjà ce qui tourmente son neveu. Il ramasse des brindilles de bois éparpillées un peu partout en les jetant au feu. Leurs visages ne sont pas débarrassés de la tristesse. Un instant après, Dani s’enquiert :

« Pourquoi cette obstination ? » Dit-il à son oncle.

« Pardon ? » Fait Mano en le regardant les yeux.

« Je dis pourquoi tout ce risque ? » Reprend le gamin.

Mano fixe le feu un instant, puis les deux filles qui dorment insoucieusement. Elles se sont rapidement bien endormies. Sont-elles vraiment inquiètes ou ont-elles seulement simulé leur angoisse ? En tout cas, elles sont décidées…

« Je suis contraint par la loi de l’effort, c’est moi qui risque ma vie et je ne saurais laisser quiconque m’en empêcher… » Répond-il enfin.

Dani demeure silencieux un instant en se demandant quelle histoire son oncle invente. Jamais il n’a vu une telle attitude chez son oncle. Il perd patience.

« C’est quoi encore cette histoire de loi de l’effort ? » Demande-t-il, importuné.

« La loi de l’effort : pas de début de la moitié mais un début de la fin » explique son oncle. « On a une grande chance de réussir dans notre initiative… »

« Pour devenir un héros. » Interrompt-il, indigné.

Mano secoue lentement sa tête puis argumente :

Tu ne saurais comprendre ce que j’évite, ce n’est pas pour devenir héros que je brave un tel risque qui pourrait me coûter la vie. Je le fais par amour, l’amour que j’éprouve pour vous tous. Tu imagines ce qui se passerait si je rentre sans toi ? Que diront nos parents ? Nous serons tellement malheureux… »

« Et toi, sais-tu combien nous serons, nous aussi, malheureux sans toi ? » Réplique Dani.

« Je ne saurais accepter que cela arrive, sinon je préférais me noyer dans la mer que de rentrer sans toi. » Achève son oncle.

Les larmes mouillent les yeux de Dani, il les essuie du revers de sa main, après qu’une goutte lui a échappé. Convaincu maintenant que son oncle ne cédera pas, il ne souffle aucun mot. S’est-il vraiment résigné après l’argument de son oncle ? Son mutisme n’insinue-t-il pas une intention ? Mano le fixe sans larmes aux yeux, s’abstenant de pleurer ; un chef de bande ne pleure guère devant une émotion. Dani se relève puis souhaite << bonne nuit >> à son oncle et rejoint sa couchette. Quelques minutes plus tard, il sombre dans le noir. Comment les bois sont presque consumés, Mano saisit Nis qui a passé tout son temps à somnoler, ne parvenant pas à dormir aussi, comme si l’obstination de son maître explosait sa tête. Ils partent s’étendent puis disparaissent dans l’obscurité.

 

SIGNIFICATION DES MOTS ET PRONONCIATION

Kira ma sén mukhu bè : montre-nous le chemin.