Kessia – chapitre 9 – La déception

Kessia – chapitre 9 – La déception

Kessia ne réfléchit pas une seconde. Elle poursuit le naufragé au fond de l’eau. Pour le secourir. Les candidats sont presque à quelques mètres de l’endroit. Le maître également. Envahis par la frayeur et l’angoisse, certains écoliers frissonnent, les yeux embués. Le souffle coupé, tous leurs regards rivés là où la mer a avalé ce jeune écolier. Kessia remonte sa tête, respire une grosse bouffée d’air. Elle replonge au fond de l’eau, pendant que le cœur de ses camarades commence à accélérer, à battre fort au rythme de l’ardeur de leur crainte.

Quelques secondes qui suivent, Kessia réapparait, respire de nouveau un bon coup d’air. Elle n’a pas encore retrouvé le garçon, car la mer est troublée. Mais bientôt, elle disparaît, recommence son investigation. Elle erre ses mains dans tous les sens. Sa main frotte quelque chose. Ça y est, il est là. Elle le tient, le tire du fond de la mer, presque amorphe. Elle respire comme un asthmatique un instant, épuisée par son effort fourni. Sans lâcher le garçon, elle se démerde jusqu’à l’arrivée du maître et les candidats. Ceux-ci les aident à regagner la rive.

On place le garçon sur le sable. Entouré de ses élèves angoissés, M. Jano applique la méthode de bouche à bouche pour ranimer le garçon. Il lui souffle dans la bouche puis lui presse le ventre. Sans cesse, tel un possédé. Mais toutes ses tentatives se révèlent vaines. Il place son oreille sur le pouls du garçon pour savoir s’il respire. Mais il ne saisit rien de clair. Il reprend la méthode, réprimant ses larmes qui menacent de déborder. Il sait qu’il y a plusieurs raisons pour ne pas pleurer devant ses écoliers qui pourtant reniflent. Certains ayant les yeux mouillés.

  1. Jano continue le processus jusqu’à ce qu’il se retrouve ridicule et insensé. Ça ne marche toujours pas. Ses larmes s’échappent des yeux puis s’écrasent sur le ventre du naufragé. Il s’abstient de croiser le regard de ses élèves fortement touchés. Et qui continuent à inhaler. Bientôt, il cesse, cache son visage entre ses mains. Il tourne dos à ses écoliers avant de libérer ses sanglots longtemps entravés. On dirait que les enfants n’attendaient que ce moment, car aussitôt ils imitent leur maître dans une triste cacophonie.

« C’est de ma faute ! » se lamente le maître.

Seule Kessia ne désespère pas. Elle prend le relai, sans hâte. Pam lui vient au secours. On les ignore comme deux idiots. A deux, l’un souffle dans la bouche du naufragé, l’autre lui presse le ventre. Plus la pression monte en eux, plus le processus leur paraît amusant. Et subitement, une toux, suivie d’une poignée d’eau qui accueille le visage de Pam.

«  Il est vivant ! s’écrie une jeune fille. Ils ont réussi… »

Kessia et Pam se sourient, ravis de leur exploit. Et le soulagement revient comme par magie. Tous font face au garçon étendu sur le sable. On pleure plutôt de joie. Les larmes de tristesse se transforment en celles d’allégresse. Quand le garçon reprend ses esprits, il devine ce qui s’est passé. Il regarde Kessia en signe de reconnaissance. Mais celle-ci tourne les yeux vers leur maître.

« Ce n’est pas moi qui t’ai sauvé, lui déclare M. Jano, quand le garçon le fixe d’un air reconnaissant. Peut-être que ma panique a fait que je n’y suis pas arrivé. Mais heureusement que Kessia et Pamito n’ont pas baissé les bras. En principe, c’est elle qui t’a sauvé. Sans elle, nous t’aurions perdu à jamais, » conclut-il en souriant à Kessia.

Le garçon sourit à la jeune fille, murmure un petit merci. M. Jano l’aide à se relever. Ordonne aux enfants de prendre leurs affaires. Quand Kessia se lève pour rejoindre Pamito, M. Jano l’interpelle.

« Merci Kessia, lui dit-il. Grâce à ton courage, je suis sauvé. Tu m’as sauvé, je te dois beaucoup. »

Eberluée, Kessia ressent l’envie de lui demander comment, mais se contente de hocher la tête. Le maître s’éloigne, empressant ses élèves de rejoindre la classe. La jeune fille a beau réfléchir sur les propos du maître, mais ne comprend rien. C’est le garçon qu’elle a sauvé, pas lui. Seulement elle ignore que sans elle, celui-ci aurait passé les pires moments de sa vie. Il serait tenu pour responsable si le drame survenait.

« Je croyais que tu blaguais avec ton histoire de savoir nager…, » lance Pamito, en s’approchant de la jeune fille.

Quand Kessia lui fait face, il ne peut s’empêcher de regarder ailleurs. Avant de lui tendre la chemise. C’est alors que Kessia remarque ses petits seins nus. Elle les cache aussitôt de ses mains. Mais trop tard, tous les garçons ont rincé les yeux. Elle se renfrogne puis récupère sa chemise. Pendant que Pamito fixe ailleurs, Kessia enfile sa chemise.

« Pas la peine, Pam ! le taquine plutôt Kessia, une fois la chemise portée. Tu as déjà rincé tes yeux, tu le sais bien. »

Les enfants regagnent l’école et croisent le directeur qui sort tout juste d’une des salles. Alerté par son intuition, celui-ci s’arrête après avoir remarqué une humeur morose chez les écoliers. Il en reste surpris. Car d’habitude, les enfants regagnent la classe dans la joie ou discussion. Chaque fois, il fallait même un peu les sermonner pour ne pas qu’ils dérangent les autres. Alors, le directeur se dirige vers eux. Le maître se sent un peu gêné.

« Alors, l’éducation physique s’est bien passée, M. Jano ? » s’enquiert le directeur.

Le maître regarde ses élèves, puis respire profondément comme pour implorer qu’on n’en parle plus, ce qui s’est passé.

« Allez, les enfants, rejoignez votre salle ! » ordonne le directeur, calmement.

Les enfants s’exécutent, laissant leur maître et le directeur.

« Allons, M. Jano, nous serons mieux dans mon bureau. »

Pendant que leur maître et le directeur s’entretiennent, les écoliers tournent autour de Kessia. Devenue le centre de leur attention et intérêt. Les compliments fusent de toutes les bouches. Courageuse. Généreuse. Brave. Discrète aussi, toutefois.

« Et curieuse aussi, qui sait ? » dit une écolière, et les autres s’esclaffent.

Et curieuse ? Elle ne le croit pas, mais n’en fait pas non plus une histoire. Elle se sent aimée, chouchoutée, intéressante, entourée. Ses camarades lui posent des questions de toute part. Elle répond comme elle peut, mais en évite d’autres.

« Parfois, il faut surprendre les gens, sourit Kessia. Pour cela, il faut être mystérieux ! »

Certains lui avouent leur admiration. D’autres mentionnent la peur qui les avait saisis quand Kessia avait pris la situation en main. Et chacun conclut que sans elle, il aurait perdu ce jeune écolier.

« Mon ami, quand tu es aux abois, pas de panique ! Kessia  est là pour te tirer d’affaire… » fait un garçon.

Tout le monde se met à rire. Bientôt, le directeur et le maître les rejoignent. M. Jano lui a narré le récit, alors pour éviter un tel incident, le directeur a donc décidé d’exclure la natation de l’éducation physique. Tous les deux se sont mis d’accord.

Le directeur se tient sur l’estrade, un coffret en main. Il informe les enfants de leur décision, suite à cet événement angoissant. Quand il finit, il vient demander quelque chose dans un murmure au maître appuyé sur la table. Satisfait, il retourne à sa place.

« Bien ! Mademoiselle Kessia est là ? dit-il. Nous l’invitons sur cette petite estrade. »

La jeune fille se lève puis se dirige vers le directeur, tous les regards fixés sur elle. Kessia se tient auprès de lui, faisant face aux autres élèves. Le directeur lui sourit avant de s’adresser à son auditoire.

« Grâce à cette brave jeune fille, nous ne sommes pas tombés dans le gouffre. Et votre instituteur également…, » s’empresse-t-il d’ajouter.

En quelque instant, le directeur ouvre le boitier, retire doucement une médaille. Il invite M. Jano de les rejoindre.

« Nous aimerions récompenser votre camarade qui a prouvé un acte de bravoure, poursuit-il avant de remettre la médaille à M. Jano.  Signe de notre reconnaissance, je vous donne l’honneur de couronner cette brave jeune fille, M. Jano !

  • Merci, monsieur le directeur ! » sourit celui-ci, en le serrant les mains.
  1. Jano se tourne vers Kessia toute radieuse, lui donne des accolades.

« Tu le mérites bien, cet honneur ! » renchérit-il en glissant la médaille au cou de la jeune fille.

En chœur, tous acclament, ovationnent, félicitent Kessia. Le directeur lui serre la main. Après la jeune fille rejoint sa place en tâtant sa récompense, fière. « Si jamais mes parents avaient assisté à cet évènement…, se dit-elle, souriante. Ils seraient tellement fiers de moi ! » On peut lire sur le visage de certains écoliers une envie d’être à sa place. Le directeur leur promet de nouvelles dispositions avant de s’en aller.

Plutôt que de se rendre dans la forêt comme d’habitude, Kessia rentre chez elle. Elle se retrouve confrontée à l’impatience. Jamais, elle n’a attendu le retour de sa mère du port comme aujourd’hui. Jamais les secondes ne lui ont paru aussi lentes jusqu’à ce point. Tellement elle a hâte de lui montrer fièrement sa médaille. Finalement, elle croit avoir attendu durant une éternité, quand sa mère apparaît.

« C’est joli ! s’émerveille celle-ci en tâtant et auscultant l’objet dans sa main. C’est quoi ?

  • Une médaille, répond Kessia, souriante.
  • Comme l’argent ?
  • Mais c’est ce qu’on donne comme récompense en signe de reconnaissance quand…
  • Ce n’est donc pas l’argent? » insiste sa mère.

Surprise de l’insistance et de la déception de sa mère, la jeune fille se fige. Embarrassée, elle fait non de la tête.

« Tes maîtres ne savent pas que c’est l’argent que nous voulons, pas ces machins sans importance ? Chaque jour ton papa se plaint que les poissons se font de plus en plus rares. »

Sa mère la quitte. Et soudain, la fierté de Kessia s’effondre, se brise, se disperse en mille débris. Elle ne retrouve plus de valeur dans sa médaille. Elle s’attendait tellement à ce que sa mère soit fière d’elle. Mais non. Elle regrette d’avoir attendu tout ce temps pour ne recevoir qu’une déception. Si seulement elle le savait…

Kessia tente de comprendre ce que ses parents attendent d’eux, Jego et elle. Mais sa déception est tellement grande qu’elle passe à côté. Bientôt elle devient brune de colère. Elle rentre dans sa chambre, arrache une feuille, puis saisit son stylo. Elle griffonne dessus :

« Jeg, je te fais cadeau de ma médaille. Ça t’appartient, maintenant. Prends-en soin.

Kessi. »

Elle se glisse dans la chambre de Jego. Pose au chevet du lit, la médaille sur la feuille. Elle quitte la maison en claquant la porte, déçue et triste.