Kessia – chapitre 21 – Une piste douteuse

  Une piste douteuse

  Il est déjà le matin. Le calme règne un peu partout. Le soleil tente de s’imposer, déployant ses longues ailes, pour embrasser tout l’univers.

   –  Allez, on se réveille, entend Kessia une voix soudaine, suivie d’une tape de main dans la paume. Tu as assez bien dormi comme ça.

  La jeune fille garde les yeux fermés, se contentant de se remuer, la tête posée sur ses genoux relevés.

   –  Je suis encore fatiguée. Oh ! Si vous saviez ce que j’ai dû endurer, susurre-t-elle.

  Kessia ouvre les yeux, sans relever la tête. Mais où se trouve-t-elle ? Non, ce n’est pas possible ! D’ailleurs, elle n’en croit pas ses yeux ! Elle n’est donc pas entre les quatre murs de sa pièce, dans son île natale ? Non, ça ne peut être qu’une erreur grossière. Elle est peut-être en train de faire un cauchemar, dans son lit, chez-elle. Ça ne peut être que ça. Elle a dû trop penser à cet îlot, son cachot, qu’elle en a fait un mauvais rêve. Rien de plus. Il suffirait seulement que Mme Likie, sa mère, vienne la réveiller, afin que Kessia s’extirpe de ce cauchemar…

  Mais la réalité rattrape Kessia qui devine que le cauchemar est loin d’être terminé. Car la réalité est bien là, béante, prête à l’engouffrer dans ses interminables tortures. Elle demeure cependant calme, toute son attention engloutie par ses pensées, le regard perdu.

   –  Bonjour, Kessia ! lance Lop, en agitant sa main devant celle-ci, s’assurant d’être aperçu. Nous sommes contents de te retrouver vivante.

  Kessia reste indifférente, certaine que les ennuis l’attendent encore.

   –  A mon avis, les négociations doivent se poursuivre aujourd’hui, continue Lop d’un ton espiègle.

  Kessia ne lui consacre pas son attention. Elle pense à cette fausse liberté que la réalité a tout gâchée. C’est toujours elle qui gâche tout ! L’autrefois, ne s’est-elle pas trouvée sur un territoire qu’elle gouverne, avec une superbe cabane et en compagnie de tous les animaux de la forêt ? Mais le petit matin, quand elle est allée le voir, il n’y avait aucune trace de cabane ni d’animaux, excepté son lapin.

  Et son lapin ! Comme il lui manque ! Comment survit-il sans elle ? Kessia frisonne à l’idée d’une éventuelle extinction de son animal, faute de soins. Et soudain, elle regarde autour d’elle. Mais que cherche-t-elle ? Pas quand même ce petit écureuil qu’elle a laissé dans son rêve ? Elle ferme un instant les yeux, déçue. A défaut de le voir, elle mentionne une note positive au compte de cette espèce, au coin de son esprit. Elle considère les écureuils comme d’excellents sauveurs.

  Ses kidnappeurs, appuyés contre l’arbre effondré, observent leur victime. Ils craignent maintenant qu’il ne lui soit arrivé quelque chose d’étrange, au point qu’ils risquent de n’obtenir d’elle, aucune réponse rassurante. Sinon comment expliquer son indifférence, son regard perdu, sa sérénité insolente ? Non, enfin, la partie se poursuit…

  Kessia considère ses ravisseurs en les défiant des yeux.

   –  Aimeriez-vous qu’on inflige toutes ces peines à vos filles, un jour ? s’enquiert-elle, armée de courage, d’une voix peu audible.

   –  C’est nous qui sommes maintenant sur le banc des accusés ? s’empresse de s’esclaffer Pek. Ne vous inquiétez pas, nous n’aurons pas d’enfants, vous pouvez en être sûre, demoiselle la flic.

   –  Faire du bien, ça ne tue personne, poursuit-elle, doutant que ces paroles viennent d’elle. Faire du bien, c’est simple et facile. Mais ce que je ne comprends…

   –  Maintenant, ça suffit ! la rabroue Lop. Ça suffit. On en a assez attendu, ces conneries. Rends-nous ce que tu nous as volé, qu’on soit quitte.

  Kessia réfléchit une seconde.

   –  Très bien, déclare-t-elle. Je veux bien vous indiquer l’endroit où se trouve votre butin, mais contre ma liberté.

  Lop s’approche d’elle.

   –  Je t’écoute, dit-il, accroupi auprès d’elle.

   –  Donnez-moi votre parole d’honneur, exige la jeune fille.

  Lop faillit éclater de rire. Qui lui a dit que les malfaiteurs ont une parole d’honneur ? Celui-là doit être un parfait idiot.

   –  Je t’accorde ma parole d’honneur, dit-il, prononçant ce qu’elle voulait entendre.

  Kessia n’est pas dupe. Elle sait qu’un malfaiteur n’a aucun honneur, sinon que du déshonneur. On ne peut jamais se fier à eux. Il change d’avis comme on change d’humeur. Elle décide de leur donner une fausse piste. C’est l’occasion pour elle de se venger. Il faut qu’ils regrettent de l’avoir entraînée dans ce calvaire.

  D’une voix ferme, qui ne la trahit pas, Kessia leur dévoile l’endroit. Elle parle du bord de la mer, d’entre deux palmiers, face auxquels se trouve un baobab. Au pied de ce grand arbre est enterré leur bien mal acquis.

   –  Quand vous arrivez au rivage de notre île, et que vous remarquez un arbre qui s’impose parmi les autres, c’est celui-là dont je parle, achève-t-elle.

   –  Très bien, déclare Lop, dissimulant un sourire, satisfait. Tu es une gentille petite fille.

   –  Je peux vous poser une question ? risque Kessia.

   –  Volontiers.

   –  Pourquoi vous aimez piller chez les gens ?

   –  Pourquoi ? fait Lop d’un sourire triste. Il vit une foule de riches très méchants. Ils se livrent aux futilités alors que les gens meurent de faim. Moi, je répugne ces attitudes. J’en suis fort allergique. Elles entraînent chez moi un sentiment de haine, de colère contre eux, ces riches avares et vaniteux. Le seul moyen de les frapper fort, c’est de dérober ce qui les rend insolents, arrogants, vaniteux… Tu es contente, maintenant, petite idiote ?

  Kessia sursaute avant d’acquiescer, effrayée par la soudaine colère de son ravisseur.

   –  Maintenant, est-ce que vous pouvez me libérer ? s’enhardit-elle, cependant.

   –  Te libérer ? rigole le kidnappeur. Pas avant qu’on mette main sur notre bien mal acquis, comme tu le dis.

  Lop s’en va aussitôt. Il rejoint son compagnon, lui transmet leur entretien. Pek sourit de bonheur. Lop lui recommande quelque chose, puis part l’attendre dans la pirogue.

  Le jeune kidnappeur s’approche de Kessia, un sac en plastique en main. Il en retire une gourde pleine d’eau. Il la tend à la jeune fille qui n’attend pas une seconde.

   –  Pas si vite, Kessia, même si j’avoue que tu as soif, rigole Pek, amusé. Oh ! Que c’est succulent de s’immiscer dans les affaires des autres ! Tu ne le trouves pas, hein, Kessia ?

  Kessia retient ses larmes, tellement elle a envie de massacrer le jeune kidnappeur. Par bonheur, il la laisse boire. Elle réussit à éteindre toute sa soif.

   –  Tu vois, Kessia, nous sommes gentils, poursuit le jeune ravisseur. Mais si tu nous trouves immondes, c’est de ta faute. Tout cela ne serait jamais arrivé si tu ne t’es pas aventurée dans nos affaires. Tu étais si tranquille, pourtant tu as préféré patauger dans cet enfer. Oh ! Tant pis !

  Kessia ne dit rien, convoitant le pain que tient le jeune ravisseur.

   –  Monsieur Pek, s’il vous plait, j’ai faim, lui prie-t-elle, réalisant que celui-ci attendait qu’elle dise quelque chose.

  Pek lui tend la nourriture qu’elle mord d’une grande bouchée. Il la regarde, tentant de la décrire. Il ne trouve que le mot courageux, pour son jeune âge. Il en devient furieux.

   –  Bon, ça suffit ! décrète sèchement Pek, en emballant le reste du pain, après plusieurs bouchées. On ne kidnappe pas les intrus pour les nourrir.

   –  Mais monsieur, je… je n’ai presque rien mangé, proteste Kessia, mécontente.

   –  Eh bien, c’est ça ! aboie le jeune homme. Tu nous dérobes, on te nourrit avec notre argent, tu élèves la voix contre nous ? C’est tout ce qui restait.

   –  Libérez-moi maintenant ! hurle Kessia, feignant le reproche. Je vous ai indiqué l’endroit contre ma liberté.

  Kessia constate que son jeune ravisseur ne fait pas attention à ses réclamations. Elle le regarde s’éloigner, ne regrettant nullement de leur avoir menti. Elle les observe échanger quelques mots. Un sourire illumine ses traits. Car le jeune Pek revient vers elle… pour peut-être la libérer de ses liens ?

   –  Voilà le reste du pain, déclare celui-ci, en le lui lançant avant de regagner son complice.

  Kessia demeure confuse, telle la surprise est décevante. Qu’elle ne soit pas libérée de ses liens, cela se comprend. Mais que ce coquin laisse le pain hors de sa portée, elle trouve cela comme la pire des tortures. Comment va-t-elle le prendre, si elle est ligotée ? Elle serre ses dents, formule un torrent de malheurs qu’elle souhaite au jeune Pek sans foi ni loi.

   –  J’oubliais, lui crie Pek, sur le sable. Economise-le, ta survie pourrait bien en dépendre.

  Kessia traite son message. Elle conclut qu’ils n’ont plus l’intention de revenir la libérer, une fois leur butin récupéré. Et pour elle, tant pis ! Pourtant, elle se félicite de leur jouer un tour de mauvais augure. Quoi qu’il en soit, elle est certaine de les revoir, à moins qu’ils ne soient arrêtés par les Coquois.

  En attendant leur retour en fureur, Kessia se met à inventer trois-cent-trois-mille raisons devant leur prouver qu’un intrus serait passé à son absence, s’accaparant de ce machin au pied du baobab.