Kessia – chapitre 12 – Un intrus

Kessia – chapitre 12 – Un intrus

Les deux enfants commencent par la première étape. Celle qui consiste à repérer presque tous les bois. Dans tous les coins si possibles. Mais pas n’importe lequel ! Seulement, les bois qui peuvent leur permettre de construire ce fameux radeau.

Le lendemain, après l’école, toute la journée, ils passent à l’action. Ils identifient tous les lieux. Presque tous les endroits où se trouvent de solides bois. Ils se donnent donc rendez-vous la nuit, afin de les escamoter. Une fois toute l’île endormie.

L’heure du rendez-vous arrive. La montre de Kessia sonne discrètement. Elle se remue un peu, change de position. Mais elle n’ouvre pas les yeux. Elle semble tentée d’abandonner cette idée.

Cependant, comme la sonnerie persiste, elle décide de se lever, en chuchotant. Elle va ouvrir doucement la fenêtre. Tout son visage se baigne dans la lumière laiteuse de la lune. Elle savoure le calme que dégage leur île encore endormie. Sans consulter l’horloge, elle se glisse dans ses vêtements.

Kessia quitte sa chambre par la fenêtre. Sans éveiller le moindre soupçon. La demeure de Pamito n’est pas loin de chez elle. Elle s’en va donc toquer sa fenêtre. Une fois. Deux fois. Elle hésite pour la troisième, et finalement, n’insiste plus. Mais quelque instant qui suit, le jeune garçon ouvre sa fenêtre. Il aperçoit sa camarade qu’il reconnaît aussitôt.

   « Bonjour, mon vieux, lui chuchote Kessia. Descends, c’est le moment parfait.

   –  Mais il n’est que cinq heures du matin, objecte le garçon, après avoir consulté sa montre. On ne peut pas attendre un peu ?

   –  Je sais qu’il est tôt, mais attendre plus tard, c’est risqué. 

   –  D’accord, attends je vais porter ma chemise. »

La lune, répandant sa lumière en mille éclats, joue en leur faveur. Derrière les maisons, les cabarets de la grande place, partout où ils ont détecté les bois solides, ils s’en accaparent. Et ils ignorent ceux qui ne sont pas propices. Ils les entassent quelque part, près du potager l’école.

« Bon, ce qui reste à faire, c’est les emmener sur mon territoire, explique Kessia. Comme ça, ce sera en sécurité. »

Pamito ne dit rien, ne fait aucun geste non plus. Pourtant, Kessia ne devine rien.

   « Allez, Pam, on n’a pas assez de temps.

   –  Désolé, Kessia, dit le garçon, mais je ne peux pas faire ça.

   –  Faire quoi ? s’étonne la jeune fille.

   –  C’est dangereux.

   –  Mais enfin, Pam, quand vas-tu cesser de voir le danger partout ? C’était ton idée, et tu étais aussi d’accord, non ?

   –  Je ne pensais pas que ce serait comme ça.

   –  Allez, un peu de courage ! Tu sais bien que je ne saurais m’en sortir toute seule. »

Comme la lune ne cesse de mater l’obscurité, le jeune garçon réprime sa crainte. L’un après l’autre, ils transportent tous ces bois dérobés sur leur territoire. La première étape est bien réussie.

Le premier chant du coq les retrouve dans les bras du sommeil. Après l’école, les deux enfants rentrent à la maison. Ils se restaurent. Puis ils retournent dans la forêt. Pauvre Pamito ! On lui avait prédit que Kessia allait le transformer. Et voilà le résultat ! Même s’il en est bien conscient, il s’en fiche pas mal. « Elle m’avait promis qu’elle allait changer, mais je comprends maintenant que c’est moi devais changer, pas elle ! » se dit-il.

Il pense encore que s’amuser dans la forêt, au bord de la mer, c’est un privilège qu’on ne doit pas se priver. Car c’est bien amusant. Et s’il ne tenait qu’à lui seul, après l’école, c’est la forêt, dans le royaume de son amie.

Les deux enfants se félicitent d’avoir accompli cette étape avec succès. Ils ont réussi à escamoter des bois bien solides et secs.

   « Treize bois, ça doit vraiment suffire, déclare Kessia, satisfaite. Bon, maintenant quelle est l’étape suivante, Pam ?

   – Il nous faut des cordes, des pointes, un marteau, peut-être une scie ou un coupe-coupe, répond le garçon.

   – Pour les cordes et coupe-coupe, je m’en charge.

   – Ça marche. Moi, j’emmène le marteau et les pointes. Enfin, comme c’est amusant ! » ajoute le garçon avec sourire.

Ils se séparent pour aller chercher ces outils. Puis reviennent quelques instants plus tard. Les outils en mains.

   « Ma maman m’a surpris, déclare le jeune garçon. Heureusement que je lui ai menti. Je lui ai dit que quelqu’un en avait besoin. Pour réparer son enclos. Elle a dit d’accord, mais elle veut revoir son marteau.

   –  Et les pointes ? demande Kessia.

– Dans mes poches.

 – Bon, mettons-nous au travail. J’ai apporté le coupe-coupe et les cordes. C’est ton petit ennuyeux de Jego qui a voulu me retarder. »

Le garçon hoche la tête. Mais après avoir réfléchi quelque instant, il trouve l’endroit inapproprié. L’endroit n’est pas propice.

   « Et voilà encore un obstacle, s’ennuie-t-il, devinant ce qui les attend.

   –  Lequel ? s’inquiète Kessia.

   –  Voilà qu’on est encore obligés de transporter ces bois.

   –  Ah bon ? Mais vers où, dis donc ?

   –  On ne peut pas construire ce radeau ici. On ne pourra pas le traîner jusqu’à la mer.

   –  Tiens, tu as raison ! Je n’y ai jamais pensé. »

Ils réfléchissent tous les deux pour trouver une solution. Mais ça ne dure pas longtemps quand une idée effleure la tête de Pamito. Il craint que son amie ne soit d’accord. Il hésite. Et finalement, il se lance.

   « Quoi ? Mais ce n’est pas possible, Pam ! s’écrie Kessia, affolée. Tu veux mettre notre royaume en danger ?

   –  Pourtant il me semble bien plus discret comme ça, réplique Pamito. Personne ne pourra nous épier, tu ne vois pas ? »

Kessia garde le silence. Elle réfléchit. Frayer un chemin menant à la mer ? Un chemin qui reliera leur territoire au bord de la mer ? Ah ! Non, ce n’est pas une bonne idée.

  « Non, réfléchissons encore, objecte-t-elle. Il doit y avoir un autre moyen.

   –  D’accord, » se résigne le garçon, contraint.

Il part s’asseoir sur le siège. « S’il y a un autre moyen, bah, je te laisse le trouver, » murmure-t-il. Il regarde Kessia tourner en rond, préoccupée. Il croise les bras, finit par fixer ce maudit îlot qui les entraîne dans tous ces ennuis.

« Bon, on fait comme tu le dis, capitule Kessia. Mais ça rend notre territoire vulnérable.

   –  Heureusement qu’on a un coupe-coupe… »

Soudain, crack ! Crack ! Des craquements de bois. Les deux enfants se regardent, éberlués et intrigués. Ils n’ont pas encore commencé le boulot que déjà, le territoire se sent vulnérable. Ils comprennent que quelqu’un a repéré et épié l’un d’entre eux. Et maintenant, leur royaume est en danger. En conséquence, il faut le protéger.

Des craquements de bois continuent. Et sans doute, l’ennemi s’approche. Kessia et son ami ramassent chacun un bâton, puis se cachent derrière l’arbre pour guetter l’intrus. Mais comment il a su qu’ils vivent sur ce territoire ? Comment les a-t-ils espionnés ? Oh ! Pourtant, il ne le fallait pas. Est-ce un camarade de classe ? Peut-être Melan. Oh ! Tout sauf lui… D’ailleurs qui d’entre eux s’est montré imprudent jusqu’à ce qu’on l’ait soupçonné ? Soudain, le bruit cesse.

Kessia retient Pamito qui veut regarder l’endroit où arrive cet intrus.

   « Attends qu’il soit plus proche, » lui chuchote-t-elle.

Le garçon obéit. Ils retiennent leur souffle. L’intrus s’approche, on peut entendre ses pas. C’est le moment que Pamito et Kessia choisissent pour l’assaillir. Mais c’est que l’intrus, ce n’est personne d’autre…

   « Jego ! » s’exclament-ils en chœur, surpris.

Les mains dans les poches, Jego ne s’affole même pas. Il ne manifeste aucune terreur. Quand il a demandé à sœur où elle partait, et s’il pouvait aller ensemble, elle a refusé. Jego l’a suppliée en vain, Kessia s’est fâchée. Il n’a plus insisté, mais a suivi discrètement sa sœur, sans qu’elle ne le sache.

Jego glisse un regard autour de lui, observe sa sœur et Pamito. L’un a un air soulagé. L’autre a les mains sur la hanche, courroucée.

   « Qu’est-ce que vous faites ici ? leur demande-t-il.

   –  C’est à nous de te poser cette question, monsieur le fouineur, réplique Kessia, très en colère.

   –  Savoir c’que vous faites ici.

   –  Tu étais obligé de le savoir ?

   –  Y a quoi, dans ce truc ? s’enquiert le gamin, en pointant la cage du doigt.

   –  Réponds à ma question, petit irrespectueux ! » aboie Kessia.

Jego les dépasse sans rien dire. Il s’assoit sous l’arbre, sur ce siège tout fait de bois. Interloqués, Kessia et Pamito lui font face. Kessia croise les bras, guette ce que va dire son petit frère.

   « Faites-moi entrer dans votre équipe, je vous en prie, commence Jego. J’ai envie de m’amuser aussi. Je m’ennuie avec les livres. Pour moi, un livre nous arrache forcément un sourire. Il nous amuse. Mais hélas ! Ceux que je lis, je n’y comprends rien… c’est pour les adultes, et je m’ennuie, voilà tout, » conclut Jego, laconique, d’un air évasif.

Kessia et Pam se regardent, surpris. Cependant, bien que dubitative, la jeune fille ressent un peu de compassion pour son petit frère. Son compagnon en demeure consterné. Elle décide donc de lui donner certains de ses livres.

« J’ai de bons livres amusants qui ne vont pas manquer de t’arracher le sourire, » lui dit Kessia.

Jego  semble surpris. Il a trouvé un prétexte pour se faire accepter. Et il ne s’attendait pas à cela. Cependant, il regarde sa sœur ; il la connaît mieux que quiconque. Elle ne lit jamais. Il ne l’a jamais vue lire. Et c’est elle qui prétend avoir des livres ? Sa surprise disparue, Jego faillit s’esclaffer. Mais non, il ne le fait pas. Il sait qu’elle ne possède aucun livre. La dernière fois qu’il s’est introduit dans sa chambre, il n’a trouvé aucun bouquin. Aucune trace. « Le livre, est-il un monstre pour ma sœur ? » s’est-il interrogé ce jour, déçu.

Jego approuve de la tête.

« Je m’en irai d’ici. Je vous laisserai tranquilles, promis, » ajoute-t-il, un peu narquois.

A sa grande surprise, il voit sa sœur se diriger vers l’arbre.  Derrière l’arbre, Kessia retire trois bandes dessinées de sa bibliothèque souterraine. Elle revient devant Jego perdu dans la contemplation de l’endroit. Elle lui tend les trois livres. Jego demeure interdit. Bientôt il réalise qu’il ne connaît absolument rien de sa sœur.

   « Maintenant, tu peux aller lire à la maison, dit Kessia.

   –  C’est que, j’aime pas les bandes dessinées, quoi, mentit Jego.

   –  Alors, débrouille-toi ailleurs, mon vieux, » décrète la jeune fille qui découvre l’intention de son frère.

Jego n’insiste pas. Il se lève, saisit les livres puis s’éloigne. Mais soudain, il s’arrête.

   « Au fait, que faites-vous avec ces bois ? Vous construisez une cabane ? J’peux vous être utile, vous n’croyez pas ? 

   –  Ce n’est pas une cabane que nous voulons construire, répond Kessia. Quand on aura besoin de toi, nous t’appellerons. Maintenant, tu peux t’en aller d’ici !

   –  D’accord, » dit le garçon, l’air triste.

Il s’éloigne la tête baissée. La jeune fille et Pamito se regardent une seconde. Puis ils fixent le gamin qui s’en va.

   « Jego…, hésite Pamito qui, jusque-là, n’avait rien dit. Tu peux rester avec nous. »

Le gosse s’arrête, sans les regarder derrière lui.

   « Dis  donc ! lui murmure Kessia, d’un ton de reproche, mécontente. Pourquoi tu as dit ça ?

   –  Il est très sage. Je ne pense pas qu’il puisse nous balancer à quelqu’un. »

Kessia serre les poings contre son ami. Mais comme celui-ci ne se laisse pas intimider, elle lâche ses poings.

   « Allez, viens je te dis, fait Pamito.

   –  C’est vrai, j’peux venir, Kessi ? demande le gamin qui finit  par  leur faire face. J’peux m’joindre à vous ? »

Elle acquiesce, à contrecœur. Extasié, le jeune garçon accourt auprès d’eux. Il les serre contre lui, l’un après l’autre. La jeune fille fustige encore son camarade qui hausse les épaules. Comme pour lui dire que c’est sa faute à elle, si Jego a découvert le coin. Kessia serre les dents, visiblement brune de colère. Car elle devine déjà que l’arrivée de son petit frère risque de compromettre son périple.