Kessia – Chapitre 23 – Les fugitifs

Les fugitifs

  Le soleil se dissimule derrière les nuages. Un peu agitée, la mer ordonne à ses vaguelettes d’assaillir la rive. Certaines se brisent contre les rochers, d’autres se ruent sur le sable. Le courant d’air fait frémir et bruire les feuilles, sans pourtant réussir à incliner les herbes.

  Pourchassés, les deux fugitifs sentent tout l’îlot trembler sous leurs pieds. Ils ont quand même réussi à se frayer un chemin dans la forêt. Malgré ses nombreux palmiers et arbres, elle semble herbeuse. Partout où les enfants passent, les oiseaux s’envolent, apeurés ;  les brindilles craquent ; les insectes, effrayés, s’écartent de leur chemin. Cependant, le sort s’abat sur les herbes qui sont écartées, secouées et piétinées, sans ménagement.

  Kessia peine à courir. Parfois, elle interrompt leur course. Elle n’a pas encore retrouvé toutes ses forces. Ses jambes flageolent, lourdes. Et les branches, les herbes jouent en faveur des kidnappeurs. Car elles les fouettent et freinent leur course. Pis, elles exposent la trace de leur passage.

  L’infâme Pek retrouve la trace des enfants, sans peine. Il lui a fallu seulement interroger les herbes. Inclinées, écartées, écrasées, piétinées, les herbes le guident.

  Peu à peu Kessia se plaint. Elle commence à manquer de souffle. Et son ami ne s’en rend pas compte. Mais ils ne cessent d’esquiver les palmiers, d’accrocher des branches épineuses de certains arbres.

   –  Pam… j’n’en… peux plus…, bredouille Kessia au bout de souffle.

  Mais Pamito paraît ne pas l’entendre. Alors Kessia s’arrête net, obligeant son ami de freiner.

   –  Qu’y a-t-il ? s’enquiert celui-ci, surpris.

   –  J’en peux… plus, j’dis, bafouille Kessia.

  Elle retire son poignet de l’emprise de Pamito. Elle s’appuie sur ses genoux, respire machinalement.

   –  Allez, filons maintenant… ils arrivent, s’empresse le garçon, affolé.

   –  Va, Pam !… Allez, sauve-toi… !

  Pek rugit de douleur quand une branche le fouette. En fait, il s’est même égratigné dans sa course effrénée. Plus il se fait fouetter et égratigner, plus sa rage s’intensifie contre les deux fugitifs. Ces petites pestes qui l’entraînent dans cette jungle. Il jure de régler leur compte avant de les ramener à Lop, ligotés sur ses épaules.

  Pek pense d’abord à administrer de folles gifles à Kessia. Ça, ce serait pour leur avoir menti. Quant à ce petit téméraire, il ne sait encore quoi faire. En tout cas, la sanction réservée au complice est mille fois plus grave que celle réservée au coupable…

  Soudain, l’infâme Pek freine ses pas. Il croit entendre quelqu’un geindre. Il écoute. C’est bien vrai … une voix. Il repère l’endroit sans difficulté. Il s’en approche doucement. Il ne faut pas effrayer la proie. Il avance à pas de loup. C’est alors qu’il aperçoit une figure humaine. Enfin, il écarte les herbes qui lui brouillent la vue.

  Kessia est assise au pied d’un palmier. Elle geint de douleur, la main sur son pied, comme quelqu’un qui vient de subir une entorse. Quand elle voit Pek qui l’observe, elle sursaute. Elle tente de se relever sans succès.

   –  Enfin, te revoilà, Kessia…, se réjouit le jeune kidnappeur. Content de te revoir mal en point.

   –  Maintenant, vous allez me tuer, déclare Kessia.

   –  Non, idiote, crache-t-il. Non, pas avant de mettre la main sur notre butin.

  Kessia ne dit rien.

   –  Oh ! Kessia comme tu es ingrate, poursuit l’infâme kidnappeur en regardant sa proie d’un air sinistre. On t’a hébergée, on t’a nourrie et pour nous récompenser, tu nous as menti. Maintenant, tu veux nous fuir ? Quelle ingratitude !

  Il s’approche lentement de Kessia. La fillette, voulant se relever, trébuche. Elle se tord de douleur.

   –  Tu es le gros gibier dont on a besoin, dit le jeune kidnappeur. Quant à ton complice, nous allons lui régler son compte, après.

  Instinctivement Pek regarde par-dessus son épaule. Quand il constate le danger, il tombe à la renverse, parant le coup de son adversaire. Dans sa chute, il parvient à lui en administrer un aussi, si bien qu’ils s’affalent tous les deux. Ils se relèvent promptement.

   –  Quand on parle du loup… C’est enfin donc toi, ce sale gosse qui s’est mêlé à la danse du diable ? crache Pek. Oh ! Tu ne devrais pas tarder à en goûter quelques pas endiablés…

  Pamito ne laisse pas Pek terminer. Il se prépare à lui décocher un coup magistral. Mais Pek pare le coup, envoie le garçon brouter les herbes.

   –  Même pas fichu de se battre, grommèle l’infâme kidnappeur.

  Humilié, Pamito jette un regard courroucé à son adversaire avant de se relever. Il ramasse son bâton, pointe Pek.

   –  Allez, recommence, le raille Pek, amusé. Montre-moi ce que tu sais faire, petit vaurien.

  Kessia apparaît près de son ami, bâton en main. Et le sourire de Pek disparaît. Il est étonné. Il réalise avoir été berné par Kessia, quand celle-ci faisait mine de geindre. Mais pour quelle raison ? Il secoue la tête, en se félicitant, d’avoir pu déjouer leur plan. Pek revient brutalement à la réalité. Il va devoir affronter deux gosses armés de bâtons et lui sans rien.

  Kessia regarde son ami d’un air entendu. Ils offensent Pek en criant de rage. Pek esquive le coup de Pamito, mais ne l’atteint pas. Cependant, il assène un coup de godasse dans le dos de Kessia. Celle-ci hurle de douleur en embrassant les herbes. Mais les deux enfants reviennent à l’assaut, enragés.

  Pek paraît inatteignable. Plusieurs fois il envoie rouler ses adversaires sur les herbes. Il les frappe aux mollets, au dos, au ventre, aux épaules, presque sur tout le corps. Il semble qu’il s’entraîne. Mais quand Kessia l’atteint au dos, il rugit de colère. Il réplique en giflant la jeune fille qui s’écoule et crache du sang.

  Ecœuré, Pamito fonce sur Pek. Celui-ci, surpris du coup fatal, protège sa tête. Le bâton s’abat sur son bras gauche, et se brise en deux. Pek mugit de douleur à fendre l’âme. Pamito, terrorisé, sent ses jambes flageolantes. Pek saisit l’autre moitié du bâton. Il assomme le garçon qui glapit puis s’affale, inconscient.

  Horrifiée et enragée, Kessia bondit sur l’infâme kidnappeur. Ce dernier n’a pas le temps d’éviter le coup cette fois-ci. Kessia le frappe violemment la tête. Comme sa victime, Pek s’effondre, sans beugler, inconscient.

  Kessia relâche son bâton, se précipite auprès de son ami. Elle se penche sur lui, lui tient la tête dans ses bras. Elle l’appelle doucement, il ne répond pas. Elle l’agite, le secoue pour qu’il rouvre les yeux. Mais rien à faire. Inquiète, elle l’examine, tâte son pouls. Aucun signe de vie !? Kessia panique. Une goutte de larme lui échappe des yeux.

   –  Non, Pam… balbutie-t-elle, la voix enrouée. Non, tu ne peux pas me faire ça. Il faut que tu ouvres les yeux. Il le faut, je t’en prie.

  Kessia fond en larmes en cachant son visage entre ses mains. Et soudain, elle agrippe le col de son ami et le secoue très fort en hurlant.

   –  Réveille-toi ! Réveille-toi, tu m’entends ?

  Mais toujours rien. Elle le relâche, trempe le corps du jeune garçon de ses larmes. Elle verse ainsi toutes les larmes de son corps, hoquetant parfois. Ses pleurs durent longtemps.

  Un peu plus tard, consolée par ses larmes, Kessia se calme. Comme elle ne sait que faire, elle réfléchit. Elle se lève, cherche le sac de son ami. Elle le trouve, l’accroche à son dos, puis s’évertue à porter Pamito sur son épaule droite. Ployée sous son fardeau, elle s’enfonce dans la forêt, abandonnant Pek. Seule, elle ne peut pas affronter l’abject Lop.