Kessia – Chapitre 20 – L’impasse
La lune scintille de toute sa splendeur. Elle répand sa lumière laiteuse partout, éclairant l’endroit où se trouve Kessia prisonnière. Bien que l’endroit semble calme, Kessia n’est pas tranquille. Par moment, elle sent une odeur désagréable qui l’effraie. Et l’endroit déjà ne lui inspire aucune confiance, moins encore la sécurité. Elle n’arrive pas non plus à s’endormir. Elle sent le danger partout. Sa crainte de voir un animal affamé surgir et bondir sur elle, triomphe toujours sur sa faim et sa soif. Elle se considère déjà comme une proie prise dans le piège.
Le moindre bruit lui donne le frisson. Des coups dans la poitrine. Elle entend son cœur battre à rompre. Bientôt une odeur nauséabonde saisit son souffle. Plus cette odeur devient intense, plus elle se sent terrorisée, transpire de grosses gouttes de sueur qui envahissent tout son corps. Elle murmure quelques mots qui ne produisent aucun effet.
Alors que cette odeur devient vive et proche, elle essaie de s’échapper de ses liens. Mais dépourvue de force, elle renonce à cette idée. Sa peur augmente, sa respiration s’intensifie, son battement de cœur s’accélère. Son souffle faillit se couper, elle est au bord de l’évanouissement
Kessia tente de se relever en vain. Ses yeux ne restent plus dans ses orbites, guettant, parcourant, glissant çà et là. Finalement, elle ferme les yeux. Le craquement des bois secs éveille en elle la chair de poule. Les images de ses parents, de son petit frère Jego, de son meilleur ami, son école, ses connaissances, traversent sous ses paupières. Et une goutte de larme s’échappe de ses yeux clos.
Elle trouve inutile de s’en vouloir d’avoir été obstinée. Elle aurait pu dire la vérité à ses ravisseurs. Ou du moins leur donner une piste douteuse, juste pour apaiser leur ardeur. Mais tout cela s’avère inutile maintenant. Alors qu’elle pense, elle entend le bruit des pas qui s’approchent d’elle. Pourtant, elle n’ose pas rouvrir ses yeux, le souffle retenu. Elle sent des milliers d’aiguilles transpercer son corps, plus ces étranges pas semblent plus près.
Soudain, quelque chose étonne Kessia. Elle sent sa corde rongée. Mais elle ne fait aucun geste, craignant affoler son bienfaiteur. Après quelques minutes, ses mains se délient, la corde coupée. Elle libère un grand soupir, soulagée, les yeux toujours clos. La seule question qui lui vient en tête, c’est qui est mystérieux sauveur ? Quoique craintive, elle rouvre ses yeux.
– Un écureuil ! s’exclame-t-elle, surprise.
Toute contente, elle se précipite pour prendre l’animal dans ses bras, mais celui-ci se met sur sa défensive. Prêt à griffer. La jeune fille se ressaisit puis recule. Elle hausse les épaules, se débarrasse de la corde de ses pieds. Elle repère un sac. Elle s’en saisit, y glisse la main. Elle en extrait du pain, des chocolats puis des biscuits. « Mes ravisseurs ne sont pas aussi immondes jusqu’à ce point…, » pense la jeune fille.
L’animal suit ses gestes sans réaction. Kessia lui jette le pain quelque peu décomposé. L’écureuil le flaire avant de le grignoter. Kessia croque dans les chocolats et biscuits. Elle lui tend aussi un morceau de chocolat. L’animal hésite un instant, puis se laisse entraîner.
– Je te remercie de m’avoir libérée de mes liens, dit Kessia après avoir repris un peu de force. Maintenant, il faut qu’on bouge d’ici, sinon ils nous tueront, ces brutes !
Elle tombe quand elle se tient debout, prise de crampe. Elle se masse, appuyée contre l’arbre, puis essaie de se remettre debout. Elle y arrive, mais elle reste quelques instants sans bouger. Posé sur ses pattes postérieures, l’écureuil la regarde d’un air curieux comme s’il se demande ce que fabrique juste son inconnue.
La crampe disparue, la jeune fille s’accroupit et tend ses bras à l’écureuil. Celui-ci n’hésite pas une seconde, il monte sur les bras, atterrit sur la tête de Kessia. Elle sourit, amusée.
La jeune fille fait face à la mer, laissant leur silhouette derrière eux. La lune leur sourit. Kessia se dirige sur le sable, regarde dans tous les sens : les abords sont bourrés de rochers. Elle se dirige vers la droite, l’animal sur la tête. Elle escalade les rochers, en trouve un où passer la nuit. Elle examine le lieu, comprend que c’est un bon endroit où les autres rochers les masquent de quiconque se trouvant sur la mer.
– On va passer la nuit ici, annonce la jeune fille, ne voyant aucun risque. En attendant qu’on trouve un moyen de s’échapper avant demain.
Elle passe une nuit agitée et entrecoupée avec l’écureuil, à cause des vagues qui se brisent en mille gouttes contre les rochers. C’est alors que plus tard, une vague brisée les arrache de leur sommeil. Elle se trouve un peu aspergée. Néanmoins elle ne déguerpit pas du lieu avec l’animal.
Le matin, Kessia se réveille. Elle se tient sur le rocher, s’étire les membres. Elle projette son regard sur l’étendue d’eau salée. Elle bâille, regarde son nouveau compagnon. Elle le gratifie d’un sourire. « Pauvre écureuil ! Sa maman est sûrement en train de le chercher ainsi, tout comme la mienne…, » pense Kessia.
Soudain, son cœur s’emballe lorsqu’elle se rend compte qu’elle est toujours en danger. Pis, quand elle aperçoit une pirogue retenue par une corde, en inspectant autour d’elle.
– Ils sont là, mon Dieu ! s’affole Kessia.
Elle se penche, puis tend son bras à son nouveau compagnon qui la rejoint. Les deux fugitifs demeurent tapis derrière le rocher. Alors que la jeune fille tremblote de peur, une idée illumine ses traits. Elle relève sa tête, balaie le lointain de son regard.
– C’est le moment…, murmure Kessia.
L’écureuil lové dans ses bras, Kessia se faufile derrière les rochers. Elle court de toutes les forces de ses jambes vers la pirogue. Elle gambade sur les rochers l’un après l’autre, après avoir constaté que ses ravisseurs ne sont pas aux abords.
La jeune fille arrive auprès de la pirogue. Elle embarque hâtivement son compagnon, glisse un bref regard autour d’elle. Personne. Elle se précipite vers la mangrove, détache la corde qui retient l’engin et décampe.
Kessia embarque, se saisit de la pagaie, essoufflée. Elle rame de toutes les forces de ses biceps. Comme quelqu’un qui fuit les coulées de larve. Quand elle se trouve à l’abri du danger, elle se détend. Elle rame doucement, admirant les côtes bourrées de rochers, des arbres. Bientôt, elle remarque dans le lointain une île, en forme d’un coq, s’étendant devant elle.
Contente de revoir son île natale, le cri de joie s’échappe de ses lèvres. Pourtant elle y est encore loin. Elle se propulse dans l’euphorie, respirant et savourant la liberté.
– Hé ! entend-elle un peu près d’elle, sur la rive. Kessia, tu es devenue folle ou quoi ? Tu aggraves ta sentence.
Prise de panique, la jeune fille rame plus vite pour s’éloigner de la rive.
– Ah oui ! crie-t-elle pour se faire entendre par ses ravisseurs, debout dans la pirogue. On verra bien ça après. Pour l’heure, cherchez d’abord à mettre la main sur moi.
La jeune fille s’en va, laissant ses ravisseurs dans l’impasse. Quelle impatience de regagner chez elle ! Kessia pagaie comme si elle était pourchassée par ses kidnappeurs, alors qu’elle n’encourt aucun danger. Elle est tout simplement pressée de recouvrer sa liberté, mais aussi animée de l’envie de retrouver les siens. Ses parents, son petit frère Jego, son meilleur ami Pamito, bref tout le monde.
Un peu plus tard, Kessia arrive aux environs de chez eux, l’Ile-Le-Coq. Elle ne peut s’empêcher de ramer encore plus vite, désirant respirer l’air de son île natale, loin de tout danger. Elle crie de joie, brandit sa pagaie en l’air, en signe de victoire. A quelques mètres de la rive, elle abandonne sa rame, se saisit de la corde. Elle plonge dans l’eau, puis nage, empressée d’atteindre la rive. Maintenant elle est chez elle, l’univers qu’elle connaît mieux que quiconque. Là où l’ennemi ne pourrait plus la traquer.
La jeune fille laisse la barque à son sort, après avoir repris son écureuil timoré dorénavant.
Son envie de revoir les siens devient plus vive que celle de rejoindre la rive. Elle se met à courir, l’animal presque martyrisé dans ses bras. On la croirait devenue folle. Tous les Coquois sortent de leurs maisons quand une vieille femme crie la bonne nouvelle après avoir aperçu Kessia la disparue. L’euphorie devient vive et intense. Les questions fusent de toutes les bouches. Chacun veut savoir ce qui est arrivé à la jeune fille. Mais celle-ci demeure muette devant l’excitation, l’enthousiasme, la compassion qu’on lui témoigne. Voilà ses parents qui arrivent. Jego se jette dans ses bras en pleurs.
Elle serre le garçon contre elle, ses yeux voilés de larmes. Sa maman fond en larmes, les larmes de joie. Elle entoure ses enfants de ses bras maternels et protecteurs, remercie le Ciel de leur avoir rendu leur enfant, saine et sauve. Son papa et l’assistance demeurent émus. Kessia est dorénavant libre ! Kessia est toujours vivante ! Kessia est maintenant en sécurité ! Kessia est… !
Mais soudain, tout s’effondre, tout s’efface, tout disparaît, jusqu’à plus rien.